L’Autopartage en boucle, un complément évident aux politiques d’écomobilité.
C’est l’un des principaux enseignements de la première enquête sur l’impact d’un service d’autopartage en trace directe (le cas d’Autolib’)
On observe une inflexion dans l’usage de la voiture particulière en France : la baisse de la mobilité en voiture et la hausse de la mobilité en transport collectif urbain dans les grandes agglomérations. Cette tendance profite d’une dissociation croissante entre la possession et l’usage de la voiture particulière.
A ce titre, l’autopartage est un système qui permet d’utiliser ponctuellement une voiture sans subir les inconvénients liés à sa possession. Il est relativement marginal (environ 200 000 usagers en France début 2014), mais il connait depuis quelques années une croissance exponentielle et dispose d’un potentiel de développement très important.
Avec l’augmentation des prix du pétrole, les politiques de limitation de la voiture individuelle dans les villes et l’attrait croissant d’autres moyens de transports, l’autopartage est amené à se développer en France.
En 2013, 6t bureau de recherche a réalisé la première enquête nationale sur l’autopartage en boucle (retour du véhicule à la station de départ et réservation obligatoire) afin de mesurer et de comprendre son impact sur la mobilité urbaine. Les résultats ont été éloquents :
- une très forte diminution de la possession et de l’usage de la voiture personnelle ;
- une augmentation importante de l’ensemble des moyens de transports alternatifs à la voiture particulière ;
- une alternative jugée plus économique et pratique que la voiture particulière ;
- un complément évident aux politiques d’écomobilité.
Si l’essentiel des offres d’autopartage propose un service en boucle, de nombreuses collectivités s’interrogent aujourd’hui sur l’intérêt et l’impact d’une offre en libre-service (sans obligation de réserver une voiture ni de prévoir le temps de la location) et en trace directe (sans obligation de remettre le véhicule à la station de départ ni de payer le temps de stationnement).
Constatant qu’il n’existait aucune étude portant sur les usages et les impacts d’un système d’autopartage en trace directe, 6t a décidé de réaliser la première enquête afin d’évaluer son intérêt à la lumière d’éléments objectifs de mesure.
Comprendre le phénomène de la voiture partagée en trace directe
Autopartage :
Système de location de voitures généralement en milieu urbain, qui permet d’utiliser les véhicules avec ou sans réservation et de façon ponctuelle.
Système «en boucle» ou «classique»
Le véhicule est rendu dans la station de départ. Il est possible de le réserver plusieurs heures à l’avance et il faut préciser le temps de la location. Sa location moyenne constatée est de 5 heures pour 40 kilomètres avec des déplacements notamment périurbains ou du moins qui permettent de sortir de la ville centre.
Système «en trace directe»
Le véhicule peut être rendu dans une autre station que la station de départ. Il n’est pas possible de le réserver plusieurs heures à l’avance et il ne faut pas préciser le temps de la location. Sa location moyenne constatée est de 40 minutes pour 9 kilomètres avec des déplacements qui s’effectuent sur un périmètre restreint : principalement celui de la ville centre.
Système «entre particuliers»
Réalisée entre des particuliers, la location s’effectue par le biais d’opérateurs qui s’occupent de la facturation ainsi que de l’assurance et qui prennent une commission sur chaque transaction. Il faut généralement prévoir sa location au moins 24 heures à l’avance et il faut préciser la durée. La location moyenne constatée est d’au moins une journée et dépasse la centaine de kilomètres avec des déplacements au moins périurbains.
Fort de ses 43 000 abonnés actifs, le service Autolib’ constitue aujourd’hui le plus grand service d’autopartage en trace directe au monde. À ce titre, il représente le terrain d’étude idéal pour comprendre les pratiques relatives à ce type d’autopartage.
L’enjeu de l’étude n’est pas de faire une simple analyse des « autolibeurs franciliens », mais de mieux comprendre le phénomène de la voiture partagée en trace directe et en libre service.
Ainsi deux comparaisons ont été réalisées :
- une première avec un échantillon d’usagers d’autopartage francilien en boucle (Mobizen), afin de neutraliser les effets de contexte liés aux spécificités parisiennes (notamment densité de l’offre des transports en commun et de l’ensemble des modes alternatifs à la voiture, faible taux de motorisation, faible usage de la voiture particulière) ;
- une deuxième avec un échantillon d’usagers de services d’autopartage en boucle situés en- dehors de l’Île-de-France afin de mettre en regard les comportements franciliens avec ceux des autres régions françaises.
Autolib’: un substitut à la voiture personnelle sans la contrainte du stationnement
Comme pour les autres services d’autopartage, Autolib’ permet d’abord d’utiliser une voiture ponctuellement. Pour autant, cette motivation principale est moins forte que pour les usagers de Mobizen (33% contre 50%).
D’ailleurs, les fréquences d’usages d’Autolib’ sont beaucoup plus élevées : 57% des autolibeurs l’utilisent plus de 2 fois par semaine quand l’essentiel des autres autopartageurs (plus de 80%) utilisent leur service moins de 3 fois par mois.
Corrélée à la forte fréquence d’usage, l’utilisation d’Autolib’ pour se rendre au travail s’avère importante. 62% des autolibeurs l’ont déjà utilisé à cet effet dont 6% qui l’utilisent à chaque location pour ce motif et 32% qui l’utilisent souvent dans ce but. Il s’agit d’une spécificité du service Autolib’ : en effet, l’autopartage en boucle n’est à priori pas intéressant pour des trajets domicile-travail, et il n’est quasiment pas utilisé comme tel. Ainsi, seulement 12% des inscrits à Mobizen ont déjà utilisé leur service pour un trajet domicile-travail.
Caractéristique de cette facilité d’usage, 67% des autolibeurs qui trouvent Autolib’ plus pratique qu’une voiture personnelle considèrent que c’est grâce aux places de stationnement réservées.
Autolib’: une solution jugée plus pratique que les transports en commun
Les autolibeurs ont une préférence marquée pour la voiture avec une image des transports en commun moins bonne que les autres autopartageurs.
Pour 1⁄4 de ses usagers, Autolib’ est d’abord un service plus pratique ou plus confortable que les transports en commun alors que seulement 1% des inscrits à Mobizen l’utilisent par préférence aux transports en commun.
Les motivations économiques n’interviennent qu’au second plan : seulement 18 % se sont inscrits au service parce qu’il leur revient moins cher qu’une voiture personnelle, contre 31 % des inscrits à Mobizen. Comme chez tous les autopartageurs, les valeurs écologiques ne jouent que très faiblement dans la motivation à utiliser Autolib’ : seulement 6 % des utilisateurs d’Autolib’ disent avoir utilisé le système pour des considérations environnementales.
Les systèmes d’autopartage et la démotorisation
>> Autolib’ (Autopartage francilien en trace directe)
- Autolib’ est un mode majoritairement utilisé par des Parisiens se déplaçant dans Paris. Cependant, la disponibilité de l’offre en banlieue permet d’avoir des abonnés résidants en périphérie ainsi que des locations de et vers la banlieue. Les déplacements banlieue/banlieue restent minoritaires ;
- la location moyenne est de 40 minutes pour 9 km avec une pointe de locations le weekend (23% en plus un jour de weekend par rapport à un jour de semaine) ;
- bien que les principaux motifs d’utilisation soient les visites à la famille ou à des amis, suivi de près par les sorties (sport, culture, nature...), Autolib’ est également utilisé pour des déplacements domicile-travail.
>> Mobizen (Autopartage francilien en boucle)
- Mobizen est un mode majoritairement utilisé par des Parisiens pour se rendre à l’extérieur de Paris ;
- la location moyenne est de 5 heures pour 40 km avec une très forte pointe de locations le weekend (89% en plus un jour de weekend par rapport à un jour de semaine) ;
- les principaux motifs d’utilisation sont les visites à la famille ou à des amis, suivi de près par les sorties (sport, culture, nature...). Quant au motif de déplacements domicile-travail, il est quasi inexistant.
Autolib’ concurrence la voiture personnelle, mais aussi tous les autres modes de transport
Suite à leur passage à Autolib’, les inscrits au service tendent à moins utiliser la voiture, mais aussi les modes alternatifs à la voiture : le service Autolib’ capte donc des déplacements qui étaient auparavant réalisés avec d’autres modes de transport.
À l’inverse, pour les inscrits à Mobizen et à un service d’autopartage hors Île-de-France, on constate une augmentation de l’utilisation quotidienne de l’ensemble des modes alternatifs à la voiture particulière.
Evolution de la part des usagers utilisant quotidiennement les différents modes de transport avant et après l’abonnement à un service d’autopartage
Evolution de la part des usagers utilisant quotidiennement les différents modes de transport avant et après l’abonnement à un service d’autopartage
>> Autolib’ se substitue également aux deux roues motorisés ...
D’une part, le parc de deux-roues motorisés des inscrits à Autolib’ diminue de 15 % alors qu’il stagne chez Mobizen. D’autre part, la fréquence d’usage quotidienne des deux roues motorisés baisse de 42% chez les usagers d’Autolib’, alors qu’elle ne change pas pour les usagers des autres services d’autopartage.
Ce phénomène s’explique par la souplesse offerte par la trace directe qui répond à l’attente de flexibilité des utilisateurs de deux-roues motorisés : la possibilité de faire « du porte à porte » sans subir les contraintes de stationnement liées à la voiture particulière et tout en gardant les avantages en matière de sécurité (accidentalité, vol, etc.).
>> ... et contribue à une forte diminution des usages du taxi.
Avant qu’ils ne soient abonnés à Autolib’, de nombreux usagers utilisaient le taxi chaque semaine. Leur nombre se divise par 3 après adhésion (19 % contre 6 %). Par ailleurs, le nombre d’usagers qui n’utilisent jamais le taxi double après l’inscription à Autolib’, passant de 11 % à 20 %. Cette forte baisse est spécifique à Autolib’ puisque 69 % de ses usagers déclarent moins utiliser le taxi contre seulement 22 % des abonnés à Mobizen et 9 % des abonnés à un service d’autopartage hors Ile-de-France.
On peut penser que l’offre Autolib’ prend des parts de marché au taxi car elle permet de répondre à certains besoins similaires tout en offrant un service plus économique et plus accessible (densité des stations, disponibilité 24h/24).
Comment profiter de l’autopartage en trace directe pour déclencher une mobilité alternative ?
A l’échelle d’un usager, Autolib’ remplace moins de voitures et supprime moins de kilomètres que les services d’autopartage en boucle. Mais, d’une part, il y a un transfert de véhicules thermiques vers des véhicules électriques et, d’autre part, sa densité d’offre permet d’atteindre aujourd’hui un nombre d’usagers bien supérieur à celui de tout autre service en France, voire dans le monde, et donc d’avoir un effet notable sur la mobilité.
Si la facilité d’usage s’avère être une des principales forces du système Autolib’, elle semble également être son point faible en matière d’impacts sur les changements de comportement. Elle peut se traduire par un réflexe d’usage (tout en Autolib’) qui n’incite pas suffisamment l’abonné à la multimodalité (savoir combiner l’ensemble des modes). Ainsi, la praticité du système fait que les fréquences d’utilisation de l’Autolib’ sont globalement plus fortes que celles de la voiture personnelle avant l’abonnement (16% contre 13% «tous les jours ou presque»).
C’est d’ailleurs une tendance inversée chez les abonnés des services d’autopartage en boucle qui utilisent beaucoup moins souvent l’autopartage qu’ils n’utilisaient une voiture personnelle. La boucle, la réservation obligatoire, la plus faible densité de l’offre, sont en effet autant de conditions qui les obligent à apprendre à combiner quotidiennement avec les autres modes de transport alternatifs.
L’efficacité du service Autolib’ semble être très dépendante de la forte densité de l’offre : 5 stations et 11 véhicules par km2 dans Paris. Ainsi, toutes les collectivités peuvent-elles proposer le même niveau d’offre en trace directe ? Dans le cas contraire, une densité inférieure aura-t-elle la même efficacité ?
LA COMPLEMENTARITE DE L’AUTOPARTAGE EN TRACE DIRECTE ET EN BOUCLE
Si les services en boucle et en trace directe se ressemblent, leurs impacts ne sont pas les mêmes : ce sont des offres de mobilité différentes qui peuvent être complémentaires. D’ailleurs, les personnes abonnées à la fois aux services Autolib’ et Mobizen ont les pratiques les plus écomobiles : 87% d’entre elles n’ont pas de voiture (contre 60% des abonnés à Autolib’ uniquement) et elles continuent d’utiliser l’ensemble des modes alternatifs (transports collectifs, vélo, marche, etc.). Toutefois, seulement 2% des abonnés à Autolib’ sont également abonnés à Mobizen.
Le développement de l’autopartage passera certainement par une réflexion sur l’hybridation de ses différents systèmes et leur complémentarité avec les autres modes de transport (transports collectifs, vélo, ...) :
- une intégration tarifaire entre les systèmes d’autopartage en boucle, en trace directe, entre particuliers, ainsi qu’avec les autres modes ;
- un système en trace directe qui ne serait pas en libre-service, mais avec une réservation préalable obligatoire (de la station de départ, de la durée de la location, de la station de destination) ;
- un système en boucle qui autoriserait ponctuellement (selon le moment et la destination) de faire des déplacements en trace directe.
Autant de combinaisons qui accompagneraient l’usager dans des comportements écomobiles et qui seraient des pistes pour optimiser la régulation des services.
L’ENQUÊTE EN CHIFFRES :
- 1 enquête en ligne menée de novembre 2013 à janvier 2014. 1 169 répondants :
- 644 usagers d’un service francilien d’autopartage en trace directe (Autolib’) ;
- 525 usagers d’un service francilien d’autopartage en boucle (Mobizen).
Recrutés via deux canaux :
* directement dans les stations Autolib’ en les invitant à se connecter à l’enquête ;
* diffusion du questionnaire par la société Mobizen auprès de ses abonnés.
- 200 questions pour caractériser l’usage et l’intérêt de l’autopartage et des autres modes de transports.
- Des résultats comparés avec ceux obtenus lors de l’enquête nationale sur l’autopartage menée en 2013 par 6t, auprès d’un échantillon de 1940 inscrits à des services d’autopartage en boucle situés en-dehors de l’Île-de-France.