Développer les fonds travaux dans les copropriétés pour aider à la rénovation énergétique…
Dans l’article publié le 20 novembre dernier intitulé ‘’Inciter ou obliger la rénovation énergétique’’ l’accent était porté au secteur résidentiel. Une réflexion qui a conduit à l’élaboration d’un rapport émis par Jacques Chanut (FFB) et Raphaël Claustre (CLER) intitulé « Explorer l’obligation de rénovation énergétique dans le secteur résidentiel » et dont les conclusions montrent la difficulté de dégager un consensus entre tous les acteurs.
Dans une publication ‘’4 pages’’, le PUCA s’est penché sur les copropriétés à travers une étude de cas sur le développement de fonds de travaux permettant ainsi d’anticiper des travaux notamment de rénovation énergétique. S’inscrivant dans le programme de recherche-action Amélioration énergétique en copropriétés, cette étude est parti du constat que le fonds travaux suscite une dynamique de rénovation grâce à l’approvisionnement régulier de petites sommes qui anticipent les gros travaux sans grever les budgets. L’étude recherche-action a donc cherché à comprendre quelles sont les motivations et les processus qui conduisent certaines copropriétés à mettre en place ce dispositif, tandis que d’autres s’y refusent. La recherche poursuit ainsi trois objectifs clairs : d’abord, identifier les freins et les facteurs favorables à la mise en place de ces fonds ; vérifier ensuite leur efficacité et leur capacité à déclencher des décisions en faveur de la rénovation énergétique ; enfin, déterminer les dispositions susceptibles d’encourager les copropriétés à voter et à abonder un fonds travaux.
Pour insuffler une démarche environnementale qui permette de tenir les objectifs de réduction de 38% des consommations d’énergie fixé par le Grenelle de l’Environnement, la France doit pouvoir développer des outils d’aide afin de favoriser des travaux d’améliorations énergétiques. Si il y a bien un parc résidentiel à rénover, c’est celui de l’univers de la copropriété dont le processus de rénovation s’effectue plus lentement que le secteur des maisons individuelles ou du logement social.
Un volume de ce parc qui correspond à environ 27,3% des logements des Français, l’enjeu est donc de taille.
Premier constat, selon le PUCA, la rénovation énergétique se heurte, en copropriétés, à une série de difficultés désormais bien connues : une connaissance insuffisante du monde de la copropriété par les professionnels ; un nombre important de copropriétés en très mauvais état, voire dégradées (300 000 logements situés dans des copropriétés en difficulté sur les 6 millions de résidences principales en copropriété) ; une difficulté de prise de décision en raison des divergences d’intérêts des copropriétaires ; une carence d’information des particuliers et des professionnels de la copropriété ; une approche trop souvent descendante des solutions à mettre en œuvre... Un outil semble pourtant particulièrement adapté à la rénovation énergétique des copropriétés : la mise en place de fonds travaux. Ils existent déjà en France, mais ne sont pas encore obligatoires, contrairement à d’autres pays. Le projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) prévoir de rendre obligatoire la réalisation d’un diagnostic technique et la mise en place d’un «fonds de prévoyance», sous certaines conditions et à partir d’un certain seuil.
La recherche-action sur laquelle s’appuie le 4 pages du PUCA montre qu’un tel outil financier, contribuant à constituer une épargne, est également un moyen de dynamiser le lancement de travaux de rénovation énergétique et de favoriser la maîtrise des dépenses énergétiques, notamment s’ils sont accompagnés de plans pluriannuels quant à la réalisation de ces travaux. Au-delà des seules obligations réglementaires, ce travail insiste sur la nécessité d’accompagner cette nouvelle obligation d’actions de sensibilisation car, en la matière, la mobilisation des différents acteurs de la copropriété (syndic, conseil syndical, copropriétaires, professionnels etc.) quant à la stratégie à mettre en œuvre pour la prise de décision est primordiale.
Pour identifier les copropriétés ayant constitué un fonds travaux, puis après avoir réalisé des entretiens auprès de ces copropriétés sur des éléments tels que les caractéristiques du fonds travaux, sa mise en place, ses modalités, ses effets, sur les plans pluriannuels de travaux ou les caractéristiques de la copropriété, les chercheurs du PUCA ont pu établir une caractérisation des copropriétés disposant de fonds travaux.
Ainsi, il ressort de cette étude que si les copropriétés qui ont un fonds travaux (13%) ne se distinguent des autres ni par leur taille, ni par leur état (54% sont en bon état, 31% dans un état moyen et 15% en mauvais état), elles s’en différencient néanmoins par leur période de construction. L’ensemble de celles repérées a en effet été bâti entre 1945 et 1980, s’agissant donc pour la plupart d’immeubles standardisés à faible performance technique et pourvus de chauffage collectif. Deux autres éléments distinguent clairement les attitudes des copropriétés : d’une part celles ayant constitué un fonds travaux fonctionnent plus largement en gestion bénévole ou coopérative que les autres (16 % contre 7 %) ; d’autre part, les copropriétés dotées d’un fonds travaux relèvent plus souvent de petites classes moyennes ou modestes (aucune qualifiée d’aisée n’a été repérée avec un fonds travaux). Enfin, une étude menée sur les plans pluriannuels de travaux a quant à elle démontré que cette pratique demeure indépendante – de même qu’assez rare – de celle des fonds travaux.
C’est ensuite à partir d’un premier échantillon de 19 copropriétés pourvues d’un fonds travaux et d’un second de 9 copropriétés l’ayant refusé que l’étude a cherché à identifier les freins et les leviers à la constitution d’un fonds travaux, de même que les montants et les effets de ces fonds lorsqu’ils existent.
Partant de l’hypothèse que le rejet d’un fonds travaux n’est pas purement idéologique mais relève sans doute de facteurs plus complexes, les chercheurs ont mené des entretiens auprès de l’ensemble des copropriétés du panel (9+19) pour analyser les freins relatifs à ce refus. Ainsi, sept obstacles ont été identifiés, dont trois en lien avec les syndics : d’abord, le fait que la proposition puisse émaner du syndic rend les copropriétaires suspicieux du bien-fondé de la démarche quand on sait que ces syndics touchent des honoraires sur les travaux. Il apparaît ensuite que les copropriétaires se méfient de la gestion des syndics et de leur utilisation des fonds. En effet, ceux-ci n’étant pas tenus d’avoir des comptes séparés pour chaque copropriété, les suspicions sont fortes quant à l’usage fait des fonds. Enfin, les syndics ne sont pas obligés de promouvoir la création de fonds travaux et voient ça avant tout comme une contrainte, tandis que les copropriétaires s’inquiètent de l’utilisation faite de ces fonds. Outre cela, il ressort que l’aspect financier est un frein majeur, et ce à trois niveaux : premièrement car les placements collectifs ne sont pas intéressants pour les copropriétaires (les syndics – professionnels – facturent des frais et les intérêts rémunérateurs sont moindres) ;
deuxièmement car les copropriétaires craignent que le fonds travaux soit un obstacle à la vente de leur bien du fait que les nouveaux acquéreurs doivent régler en sus du prix le montant du fonds travaux remboursé à l’ancien propriétaire. D’ordre pécuniaire, la dernière réticence repose sur l’idée que le fonds représente une charge supplémentaire, alors qu’il n’est qu’une provision en vue de travaux. Le septième frein relève pour sa part de lacunes « logistiques » pour identifier les besoins et programmer les travaux: les moyens de diagnostic sont peu efficients, il n’existe pas vraiment d’outil de programmation pluriannuelle, tandis que les modalités juridiques du vote d’un plan pluriannuel de travaux restent floues. Eu égard à ces problèmes, l’équipe de recherche identifie différents leviers tels que, entre autres, l’appui sur des « copropriétaires moteurs » par le biais de syndics bénévoles ou coopératifs par exemple, la mise en place d’un fonds attaché au lot et donc non remboursé en cas de vente, l’identification des besoins de travaux et des chantiers à venir par les copropriétaires, et des programmes d’économie de charges pour compenser les montants du fonds travaux. Nous reviendrons plus loin sur la présentation de ces pistes de progrès.
Parmi les 19 copropriétés ayant instauré un fonds travaux, l’étude montre que quatre moyens d’en fixer le montant : sur la base des économies réalisées ou des recettes encaissées dans l’année (pour 7 d’entre elles); selon un seuil de prélèvements trimestriels acceptable, situé entre 10 et 46 euros (4); en estimant les travaux prévus, avec des sommes alors plus conséquentes de l’ordre de 86 euros mensuels en moyenne (4); et en s’appuyant sur un pourcentage du budget de charges courantes d’environ 5%, soit en moyenne 8 euros par mois (3).Outre le montant de ces fonds, la recherche montre qu’en cas de vente et donc de remboursement aux propriétaires, les acquéreurs sont tenus de verser en moyenne 1700 euros pour le fonds travaux, contribution qui demeure modeste lors d’un achat.
Ainsi, et tel que le préconise le « Rapport Braye », en créant un fonds travaux à hauteur de 5% du budget annuel, l’effort demandé est réduit, même pour les plus modestes. Néanmoins plus symbolique que suffisant, ce montant doit avant tout insuffler une dynamique. De plus, il ressort qu’une bonne anticipation des besoins favorise l’alimentation des fonds travaux, en même temps que la constitution de ces fonds est très souvent liée à une politique active de maîtrise des charges.
Concernant les effets, les enquêtes de terrain ont validé l’hypothèse que, outre la seule question du financement, le fonds travaux constitue un formidable outil de dynamisation de la copropriété ainsi que de mobilisation en faveur de la prévision et de la réalisation de travaux. Lorsqu’il n’est pas remboursable, il s’avère aussi un puissant outil d’information des acquéreurs, et permet que les dynamiques de projet ne soient pas cassées par les mutations de copropriétaires qui vendent pour ne pas contribuer aux travaux. Enfin, le fonds travaux facilite la préservation de la mixité sociale en protégeant les copropriétaires les plus modestes et les nouveaux accédants d’un vote de gros travaux qui pourrait les mettre en difficulté et les contraindre à vendre leur bien.
En réponse aux freins et leviers identifiés sur le terrain, la recherche-action a mis au point six propositions d’action afin de promouvoir la création de fonds travaux et d’optimiser les fonds travaux obligatoires le cas échéant.
La première est une action de sensibilisation qui vise à créer un guide pédagogique gratuit pour mobiliser et aider les « copropriétaires moteurs » désireux de mettre en place un fonds travaux. Ce document aborde les difficultés auxquelles peuvent se heurter les copropriétaires et fournit des conseils ainsi que la marche à suivre pour réussir à mettre en place ce dispositif. La deuxième proposition tend à restaurer la confiance vis-à-vis des syndics en obligeant l’ouverture de comptes bancaires séparés, de même que la mise en place d’instances de contrôle des syndics pour diminuer la méfiance des copropriétaires à leur égard. Au-delà de l’aspect technico-financier, généraliser le compte séparé est un moyen de réformer la gouvernance des copropriétés en responsabilisant les copropriétaires et en favorisant la gestion collective trop souvent déléguée au syndic. La troisième proposition est de créer une solution de placement adaptée au travers d’un « plan d’Épargne Copropriété » sécurisé, rémunéré et défiscalisé aux fins d’inciter et de faciliter la réalisation de travaux. La quatrième proposition vise pour sa part à rendre le fonds travaux obligatoire et attaché au lot, c’est-à-dire non remboursable en cas de vente. Préconisée dans le « Rapport Braye », cette mesure s’avère être un véritable renversement culturel qui ferait de la gestion prévisionnelle des travaux un réflexe dans les copropriétés. Le fonds travaux obligatoire se présente en outre comme une mesure sociale de protection des copropriétaires les plus modestes et des jeunes accédants, et offre de préparer et mieux maîtriser l’avenir, ainsi que de faire des économies. La recherche-action propose ensuite d’améliorer les capacités de programmation de travaux afin de donner tout son poids à l’instauration d’un fonds travaux. Pour cela, il semble nécessaire de rétablir un carnet d’entretien solide, de promouvoir « l’audit global partagé », ainsi que de développer l’expérimentation de plans pluriannuels de travaux. Enfin, la sixième fiche préconise de développer des outils de maîtrise des charges tant cette volonté va souvent de pair avec celle de la création d’un fonds travaux. Alors, la mise en place de méthodes tels que les «étiquettes charges », le Bilan Énergétique Simplifié (BES) ou le Bilan Initial de Copropriété (BIC), accompagne les copropriétés dans leur souci d’économies.
Ainsi, à l’heure où la loi ALUR comporte des dispositions concernant l’instauration d’un fonds travaux, les propositions faites dans cette recherche-action prennent tout leur sens, d’une part pour orienter les copropriétés désormais dans l’obligation de constituer un fonds travaux, mais aussi quant à accompagner celles encore soumises à aucune obligation légale, mais néanmoins désireuses de maîtriser leurs dépenses et d’avoir un pécule financier à disposition pour anticiper des travaux.