Le Jury composé de The Lord Palumbo (Chairman), Alejandro Aravena, Stephen Breyer, Yung Ho Chang, Kristin Feireiss, Glenn Murcutt, Juhani Pallasmaa, Ratan N.Tata, Martha Thorne (Executive Director) vient d’attribuer le Prix Pritzker d'architecture 2014 à l’architecte japonais Shigeru Ban.
Né à Tokyo, il y a 56 ans, Shigeru Ban est un architecte cosmopolite, disposant de bureaux aux quatre coins du monde architecte , à Tokyo , Paris et New York .
Cette récompense couronne le travail de Ban, dont les tracés laissent des œuvres à la fois élégantes mais aussi novatrices. Des conceptions inventives aux services de l’humanité. Ses nombreuses contributions aux services de collectivités, de bénévoles, de citoyens locaux, aident à concevoir, construire une nouvelle dignité afin de faire face aux catastrophes naturelles. Des abris simples, recyclables pour parer à l’urgence.
Emu par sa récompense, Shigeru Ban explique, «recevoir ce prix est un grand honneur, et avec lui, je dois être prudent. Je dois continuer à écouter les gens pour qui je travaille, dans mes commissions résidentielles privées et dans mon travail de secours en cas de catastrophe. Je vois ce prix comme un encouragement de continuer à faire ce que je fais – ne pas changer, mais plutôt à grandir ".
Dans une approche technique, toutes les parties de sa pratique, Ban trouve une grande variété de solutions de conception, souvent basées autour de la structure, des matériaux, de son orientation, de la ventilation naturelle et d’un apport de lumière naturelle, avec comme principale volonté de réaliser des lieux confortables pour les personnes qui les utilisent. Des résidences privées ou sièges sociaux , aux musées , salles de concert et autres bâtiments publics , Ban est connu pour l'originalité , l'économie et l'ingéniosité de ses œuvres, qui ne reposent pas sur des solutions de haute technologie courantes d’aujourd'hui .
Crédits photos : © Shigeru Ban Architects
Une approche dont le but est de concevoir des espaces libres et ouverts avec une rationalité concrète dans la mise en oeuvre de la structure et de la construction. Elle souhaite substituer aux méthodes de construction existante, qui consistent à utiliser principalement des matériaux préfabriqués, des systèmes et des solutions innovantes et jusqu’alors inusités. Dans ce but, Shigeru Ban cherche à assimiler logiquement les toutes dernières découvertes technologiques dans l’ensemble des procédés constructifs. Il conçoit une architecture qui tend à harmoniser esthétique, espace, matériaux et structure de chacune de ses réalisations.
Pour la réalisation du siège social de l'entreprise de médias suisse Tamedia, Shigeru Ban a conçu un édifice de sept étages avec une ossature bois visible dépourvue de tout renforcement en acier. Elle a été montée sur place à partir d’éléments préfabriqués, fraisés au millimètre près, ce qui a permis de limiter les émissions de CO2 dès la phase de construction. L’exploitation du bâtiment se réalise par ailleurs sans électricité d’origine nucléaire. Les installations de chauffage et de climatisation utilisent les eaux souterraines et permettent de renoncer aux combustibles fossiles.
Pour le Centre Pompidou- Metz , en France , Ban conçu un édifice aux tons clairs et lumineux, puissant et léger à la fois, invitant à s’abriter sous son toit protecteur.
L’édifice se présente comme une vaste structure de plan hexagonal, traversée par trois galeries. Il se développe autour d’une flèche centrale qui culmine à 77 mètres, clin d’oeil à la date de création du Centre Pompidou : 1977...
D’une surface de 8 000 m2, entièrement réalisée en bois, la charpente est composée de modules hexagonaux, ressemblant au cannage d’un chapeau chinois.
Elle est recouverte d’une membrane étanche à base de fibre de verre et de teflon (PTFE ou Poly-Tetra-Fluoro-Ethylène).
Sous cette grande couverture, trois galeries, en forme de tubes parallélépipédiques, se superposent et se croisent. Leurs extrémités, semblables à de larges baies vitrées, dépassant de la toiture et sont orientées sur différents points clés de la ville, comme la Cathédrale, la gare ou encore le Parc de la Seille, donnant ainsi à voir aux visiteurs de véritables « cartes postales » de la ville de Metz.
Véritable tour de force architectural, la toiture forme un hexagone de 90 mètres de largeur faisant ainsi écho au plan du bâtiment. Les lames de la charpente, espacées de 2,90 mètres, dessinent une trame hexagonale qui évoque le tissage d’un chapeau chinois.
La structure de la charpente est faite de bois lamellé-collé, hautement résistant et offrant des longueurs hors normes, superposé en deux couches dans les trois directions de l’hexagone.
Ce maillage permet de franchir des portées importantes d’environ 40 mètres, et de faire de la toiture un élément autoportant, qui repose sur quelques appuis seulement.
La toiture possède une géométrie non régulière, tout en courbes et contre-courbes, qui enveloppe les différents éléments du bâtiment, et notamment les trois galeries d’exposition. Cette charpente en bois est l’une des plus grandes et des plus complexes réalisées à ce jour.
Shigeru Ban s'est particulièrement intéressé au développement du tube en carton comme principe structurel de construction. Il a notamment été utilisé dans de nombreux projets d’habitat temporaire pour des camps de réfugiés (Rwanda, Kobe, Turquie, Mexique).
Une série de maisons expérimentales a été conçue avec l'idée d'utiliser ce matériau non architectural, le tube en carton, dans un contexte radicalement différent.
Une des plus remarquable expérience est le Pavillon du Japon pour l'exposition Hanovre 2000. Il s'agit de la mise en oeuvre complète de la technologie du Paper Tube Structure (P.T.S.) mise au point par Shigeru Ban Architects. Ces P.T.S. vont permettre à Shigeru Ban d'évacuer les contraintes et les tensions structurelles au profit d'espaces dynamiques et souples. Le module P.T.S., utilisé à la fois comme élément structurel et comme élément mobilier, dissout la rigidité du plan par des compositions sinusoïdales qui fluidifient l'espace. Sa mise en œuvre ouvre de nouvelles perspectives, les matériaux de construction étant entièrement recyclables. Véritable édifices temporaires de secours, l’emploi de tubes de papier en carton recyclables pour les poteaux, les murs et les poutres est disponible localement, cette ressource est peu coûteuse, facile à transporter, à monter et à démonter , et surtout résiste à l’épreuve de l’eau et du feu.
Petit garçon, Shigeru Ban avait observé les charpentiers traditionnels japonais qui oeuvraient dans la maison de ses parents. Une observation et une fascination pour ces artisans, leurs outils, leurs méthodes de construction, et des odeurs d’essence de bois se mêlant au tout devenaient à ses yeux magiques.
Si les propos recueilli par le magazine Zoom Japon montre l’engagement de Shigeru Ban concernant le relogement à la suite de catastrophes, le président du Jury s’est exprimé "Shigeru Ban est une force de la nature, ce qui est tout à fait approprié à la lumière de son travail bénévole pour les sans-abri et les démunis dans les zones qui ont été dévastées par des catastrophes naturelles. Mais il est également au Panthéon architectural grâce à une connaissance approfondie de son sujet et un accent particulier sur les matériaux, la technologie de pointe. Sa curiosité et son engagement total, et le recours sans cesse à l’innovation, un œil infaillible, une sensibilité aiguë ne sont qu’une petite palette de son immense talent."
Shigeru Ban :
"Je travaille sur l'architecture liée à l'accueil de réfugiés depuis 1994. Ce n'est donc pas la première fois que je suis confronté à ce genre de situation et cela ne change rien. En revanche, il y a beaucoup d'architectes japonais qui s’y sont intéressés pour la première fois. Cela ne change rien non plus que je sois Japonais. Le Japon est important à mes yeux, car c'est mon pays natal. Mais quand une catastrophe se produit, c'est la même chose partout. Il est juste un peu plus facile de travailler au Japon, parce que j'ai un bureau et beaucoup d'étudiants. Les séismes ne sont pas une catastrophe naturelle. C'est un désastre créé par l'homme. Les séismes eux-mêmes ne tuent pas les gens. Ce sont les immeubles qui tuent en s'effondrant. C'est donc notre responsabilité d'architecte. Dans le cas des réfugiés, les gens ont besoin de nouvelles maisons, mais on ne demande pas à des architectes de les construire. Le gouvernement s’adresse à des sociétés spécialisées dans le préfabriqué. Les architectes ne sont pas impliqués dans le processus. Voilà pourquoi la situation est si catastrophique.
Nous avons réfléchi avec mes étudiants à ce qui était le plus approprié pour les réfugiés, et qui pouvait aussi être accepté par les autorités. Nous avons construit un prototype à partir de mes expériences passées au Rwanda, à Kôbe ou à Niigata. Nous leur avons montré exactement ce que nous voulions faire. C'est uniquement lorsque nous avons eu la chance de rencontrer des gens bienveillants parmi les autorités locales que notre projet a pu être lancé. Pour cela, nous avons visité une cinquantaine de centres de réfugiés.
Les architectes travaillent en général pour les classes privilégiées. Le pouvoir et l'argent sont invisibles. Ces gens riches emploient des architectes pour rendre visible leur pouvoir et leur argent grâce à une architecture monumentale. J'ai été très déçu par notre profession. J'avais pensé qu'en tant qu'architecte, je pourrais aussi travailler pour le grand public, mais j'ai découvert que nous travaillions seulement pour les nantis. Lorsque j'ai vu les structures pour les camps de réfugiés au Rwanda en 1994 où les gens avaient extrêmement froid sous leurs couvertures, j'ai essayé de trouver des solutions. Les infrastructures données par les Nations Unies n'étaient pas efficaces pour les protéger. Les aides médicales ne servaient à rien s'ils ne bénéficiaient pas d’un abri approprié. Alors je me suis rendu à Genève au Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. C'est comme les autorités locales au Japon. Si on les contacte par lettre, ils ne répondent pas. J'y suis donc allé directement sans rendez-vous pour rencontrer des gens et les convaincre. J'ai eu la chance de tomber sur la bonne personne qui m'a immédiatement recruté pour développer ce projet au Rwanda.
Avant même le séisme, j'avais déjà dessiné le projet de maisons temporaires à trois niveaux conçues avec des conteneurs. Je savais que les logements provisoires du gouvernement seraient inadaptés et je m'étais préparé en recherchant l'opportunité de mettre en place ce projet. Ma solution en étage était appropriée à la situation qui prévaut dans le Tôhoku. Le désastre s'étend sur plus de 500 km de côtes et les villes n'ont pas assez d'espace libre. Il y a très peu de zones plates pour construire les logements provisoires. Les gens ne veulent pas non plus vivre trop loin des côtes. La solution de maisons sur plusieurs étages me semblait la plus appropriée pour répondre à ces conditions. Tout de suite après la catastrophe, je me suis inscrit à la préfecture. On ne peut pas construire sans autorisation. Il faut que les responsables locaux donnent leur accord pour être commissionné et financé par le gouvernement. Avant même que mes maisons sur plusieurs étages n'aient été acceptées, j'ai fait cette démarche, tout en continuant à visiter les centres de réfugiés avec les systèmes de partitions.
Par chance, j'ai rencontré celui qui était encore maire d'Onagawa. Il cherchait des solutions pour construire des maisons provisoires, car il manquait d'espace. Je lui ai proposé mon plan et il l'a beaucoup aimé. Ce maire était très enthousiaste et il avait assez de poigne pour imposer ce projet. En général, c'est très difficile de faire quelque chose de différent. Il a dû prendre la responsabilité et c'est comme cela que ce projet hors norme a pu voir le jour. Je travaille aussi sur la conception d'un autre projet à Sôma dans la préfecture de Fukushima. C'est un centre pour enfants orphelins baptisé "ART MAISON". Ce projet est sponsorisé par LVMH. Dans la même ville, on m'a aussi demandé de concevoir des logements publics bon marché. Les gens vont devoir quitter les logements provisoires et intégrer des maisons permanentes. La ville de Sôma m'a donc demandé de concevoir quatre appartements doubles.
Afin d'être le plus équitable possible, un système de loterie décide des attributions d'appartements. Chaque personne reçoit donc son appartement au hasard. Les voisins ne sont plus nécessairement ceux d’avant. Les communautés telles qu’elles existaient disparaissent et beaucoup de gens se retrouvent ainsi seuls. A Onagawa, ceux qui ont été choisis pour vivre dans mes logements disaient qu'ils étaient les moins chanceux, car ils ont dû rester dans les centres de réfugiés plus longtemps. Ils se sont plaints à la ville. Ils n’ont emménagé que fin octobre. Mais après avoir intégré les appartements, ils ont finalement dit qu’ils avaient bien fait d’attendre parce qu'ils étaient bien mieux installés que les autres. La taille est exactement la même pour tous les logements provisoires. Il serait impossible sinon d’être financé par le gouvernement. Mais on y a ajouté des structures de rangements en bois. Je les ai dessinées, puis j'ai obtenu des financements privés. J'ai demandé aux bénévoles de les fabriquer et de les intégrer. Cela permet aux habitants d'avoir assez de rangements dans ces petits espaces.
Si vous visitez les logements provisoires ordinaires, ils sont remplis d'objets et les gens doivent circuler au milieu dans des espaces très restreints. Nous avons fourni assez de rangements pour utiliser au mieux l'étroitesse de l'espace. C'est pour cela aussi que nos maisons sont si appréciées. Nous avons aussi fabriqué des tables en bois et tubes de papier. Mes maisons ont aussi une assez bonne isolation et même l'acoustique est très bien faite. C'est sans comparaison par rapport aux logements provisoires qu’on rencontre ailleurs.
La Croix Rouge fournit en plus la climatisation, le réfrigérateur, le four micro-onde, le téléviseur. Tout est là dès l’emménagement. Les logements provisoires du gouvernement ont une très mauvaise isolation qui se traduit par de la condensation et de nombreuses fuites, mais ce n'est pas le cas de ceux que j’ai bâtis. Les maisons provisoires d'Onagawa ont été conçues pour être permanentes, mais selon la loi japonaise les gens ne peuvent y vivre que deux ans gratuitement. Cela s'est passé ainsi lors des tremblements de terre précédents. Cette fois-ci pourtant, je pense qu'ils ne pourront sans doute pas partir d’ici deux ans. Avec le déplacement des villes, la reconstruction va prendre plus de temps. Les gens vont sans doute devoir rester plus longtemps."
lauréats du Pritzker Prize depuis sa création
1979 : Philip Johnson (Etats-Unis)
1980 : Luis Barragán (Mexique)
1981 : James Stirling (Grande-Bretagne)
1982 : Kevin Roche (Irlande)
1983 : Ieoh Ming Pei (Etats-Unis)
1984 : Richard Meier (Etats-Unis)
1985 : Hans Hollein (Autriche)
1986 : Gottfried Böhm (Allemagne)
1987 : Kenzo Tange (Japon)
1988 : Oscar Niemeyer (Brésil) et Gordon Bunshaft (Etats-Unis)
1989 : Frank Gehry (Canada/Etats-Unis)
1990 : Aldo Rossi (Italie)
1991 : Robert Venturi (Etats-Unis)
1992 : Alvaro Siza (Portugal)
1993 : Fumihiko Maki (Japon)
1994 : Christian de Portzamparc (France)
1995 : Tado Ando (Japon)
1996 : Rafael Moneo (Espagne)
1997 : Sverre Fehn (Norvège)
1998 : Renzo Piano (Italie)
1999 : Norman Foster (Grande-Bretagne)
2000 : Rem Koolhaas (Pays-Bas)
2001 : Jacques Herzog et Pierre De Meuron (Suisse)
2002 : Glenn Murcutt (Australie)
2003 : Jørn Utzon (Danemark)
2004 : Zaha Hadid (Grande-Bretagne)
2005 : Thom Mayne (Etats-Unis)
2006 : Paulo Mendes da Rocha (Brésil)
2007 : Richard Rogers (Grande-Bretagne)
2008 : Jean Nouvel (France)
2009 : Peter Zumthor (Suisse)
2010 : Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa - Sanaa (Japon)
2011 : Eduardo Souto de Moura (Portugal)
2012 : Wang Shu (Chine)
2013 : Toyo Ito (Japon)