Quand l’accès au gaz fait trembler les conditions de marché…
Même si le gaz naturel connaît une position avantageuse à l’égard d’autres combustibles fossiles, il n’en demeure pas moins que les conditions de marché oscillent fortement d’une région à l’autre. Cette situation inquiète les industriels installés au Sud de la France.
L’Union des Industries Chimiques (UIC) en appelle instamment aux pouvoirs publics à réagir, d’extrême urgence, face à la situation de crise aiguë dans laquelle sont aujourd’hui placés plusieurs sites chimiques installés au sud de la France, très gros consommateurs de gaz, qui sont menacés à court terme d’arrêt de production par la forte augmentation du prix du gaz du fait du mécanisme d’attribution aux enchères des droits de transport nord-sud.
Depuis Fukushima, et l’arrêt de la production nucléaire japonaise, le marché japonais absorbe, à prix très élevés, toutes les quantités de GNL disponibles. L’Europe, et en particulier la France, n’est plus desservie correctement en GNL : 50 % de baisse depuis 2011 dans ses terminaux de Montoir et de Fos. La zone sud est donc aujourd’hui approvisionnée très majoritairement par le réseau venant du nord qui n’a pas été conçu pour cela et il est donc à présent congestionné en permanence. En outre, la saturation désormais durable des exports vers l’Espagne n’a fait qu’empirer la situation.
Cette situation de rareté physique, parfaitement identifiée depuis deux ans, a pris une tournure dramatique depuis le dernier trimestre où les opérateurs sont venus disputer aux industriels consommateurs les rares capacités disponibles : le prix de passage, selon les données publiques, est ainsi passé en pointe journalière à 17 € le MWh , et en moyenne vers 5 € le MWh (pour un coût réel de 0,6 € le MWh) soit une surcharge de coût durable de 20 % pour les industriels au sud de la France.
Dans ce contexte, la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) a décidé de mettre aux enchères de façon anticipée les capacités de transport nord-sud pour les quatre années à venir, solution jugée inefficace par les industriels.
Les volumes échangés sur le marché spot du gaz ont connu une légère augmentation en 2012 par rapport à 2011 (+2 %). Le premier semestre 2013 a connu une accélération des échanges (+28 % par rapport au premier semestre 2012) dans un contexte de tension sur l’approvisionnement européen. Depuis l’apparition de tensions durant l’été 2012 au PEG Sud (approvisionnement à la baisse de la zone Sud), les volumes négociés sur cette place de marché ont augmenté de 49 % entre 2011 et 2012 et de 44 % entre le 1er semestre 2012 et le premier semestre 2013. Les volumes échangés sur le marché à terme français ont quant à eux connu une baisse de -26 % entre 2012 et 2011, le marché du PEG Nord étant fortement concurrencé par le marché hollandais (TTF) prédominant en Europe continentale et par l’émergence du marché allemand (NCG).
La forte hausse des prix du gaz en zone Sud à l’été 2012 a conduit la CRE à vérifier l’existence ou non de dysfonctionnements sur les marchés et à délibérer le 29 mai 2013. En effet, alors que les prix au sud évoluaient à un niveau très proche de ceux du nord en 2010 et 2011, ils se sont différenciés en moyenne de 1,65 €/MWh en 2012 et de 2,26 €/MWh au premier semestre 2013. Cet écart des prix a dépassé les 6 €/MWh à plusieurs reprises et s’est manifesté par un pic à 7,62 €/MWh le 24 juillet 2012.
Pour comprendre la formation des prix dans le sud de la France, la CRE a collecté, pour la période de mars à août 2012, l’intégralité des transactions conclues par les principaux acteurs du marché aux PEG Sud et TIGF ainsi que les données relatives à l’utilisation des infrastructures gazières auprès des différents opérateurs.
Ces analyses poussées montrent que les prix élevés du gaz dans le sud et leur volatilité s’expliquent par : – des tensions structurelles dans l’approvisionnement de la zone Sud, en raison des faibles arrivées de GNL en France et des exportations en hausse vers l’Espagne ;
– l’insuffisance de transparence sur l’utilisation et la disponibilité de certaines infrastructures ;
– le manque de liquidité du PEG Sud ;
– des comportements atypiques du mécanisme de couplage de marché de Powernext.
Alertés sur cette situation de crise, les pouvoirs publics, en concertation avec les consommateurs industriels, les fournisseurs, les transporteurs et les stockeurs, s’attachent depuis des mois à dégager des solutions structurelles. Une réunion d’urgence, en présence du Ministre de l’écologie, est intervenue le 27 février.
Malgré les demandes réitérées de l’ensemble des consommateurs industriels très inquiets, la CRE n’a pas cru devoir reporter les enchères : le résultat, parfaitement prévisible et annoncé, est que celles-ci, en cours depuis lundi 3 mars, contribuent à une accélération de la distorsion nord-sud au lieu de la réduire.
Les industriels voient, avec une préoccupation extrême, la situation se dégrader, inexorablement, puisqu’ils n’ont pas d’autre choix que de suivre les enchères pour essayer d’obtenir quelques droits de passage supplémentaires, (au-delà des 50 % déjà acquis en ce qui concerne les gazo-intensifs).
La situation est exacerbée pour les sites qui n’ont pas obtenu le statut gazo-intensif. Cette situation est intenable pour de nombreux sites chimiques, petits et grands, du sud-Est, pour qui le gaz est absolument vital, puisqu’il est à la fois leur énergie et leur matière première.
Dans ce contexte de crise aigüe, alors que l’industrie chimique en France est durement touchée par l’atonie de la demande européenne, et est déjà victime de son handicap de compétitivité concernant l’accès à l’énergie (prix du gaz trois fois supérieur à celui des Etats- Unis), l’UIC demande au Gouvernement de prendre immédiatement les trois mesures qui ont émergé au fil de la concertation comme les seules structurelles possibles :
¨ l’annonce rapide de la création au 1er octobre 2014 d’une zone tarifaire unique en France la
¨ prise du décret, avant le 1er juillet 2014, d’importation de GNL nécessaire pour quatre ans d’application
¨ le lancement immédiat des travaux des nouveaux gazoducs à réaliser selon une procédure de travaux accélérée d’ici fin 2018, du fait de leur caractère d’intérêt vital national.
Ce qui caractérise ses tensions c’est donc la structure du marché européen et ses particularités dans lesquelles les divergences en matière de politique énergétique démontrent un manque de compétitivité. L’essor du charbon ne pourra à termes devenir concurrentiel et le manque de courage pour impulser une transition favorable au mix énergétique, (en tête les énergies renouvelables) ne permettront pas à l’Europe de maîtriser les nouvelles connexions entre marchés, rôle de catalyseur dans l’évolution des modes de fixation des prix de l’énergie, y compris l'adoption à plus grande échelle de marchés d’échanges.