Été 14 Les derniers jours de l’ancien monde
Pour commémorer la Première Guerre mondiale, le ministère de la Défense et la Bibliothèque nationale de France ont choisi une approche originale en se concentrant sur le déclenchement du conflit. Pourquoi comment l’Europe s’embrase-t-elle en quelques semaines après l’assassinat de l’archiduc François- Ferdinand d’Autriche ? Se penchant sur l’enchaînement des décisions qui aboutissent à la déclaration de guerre, l’exposition dresse le portrait de l’Europe de 1914 et met en lumière les origines d’un conflit inédit dans l’histoire de l’humanité, tant par le nombre effroyable de victimes - environ 10 millions de morts et 21 millions de blessés - que par les bouleversements qu’il a entraînés dans le monde entier.
28 juin 1914 : l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche est assassiné à Sarajevo par un nationaliste serbe de Bosnie. Encore un assassinat politique comme l’Europe en a tant connu les années précédentes, particulièrement aux confins de l’Autriche-Hongrie. Un simple coup de tonnerre dans un ciel clair... Ce fait divers tragique n’empêche pas l’été de suivre son cours habituel. Les paysans travaillent dans les champs, les ouvriers à l’usine. Les enfants attendent avec impatience la fin de l’année scolaire. Quelques rares privilégiés s’offrent des vacances à Deauville ou sur la Riviera.
Le 23 juillet pourtant, l’Autriche adresse un ultimatum à la Serbie. Les hommes politiques, les diplomates et les opinions publiques ne sont guère inquiets : c’est une crise régionale, qui doit se régler comme les nombreuses tensions précédentes par une conférence de paix. À Paris, les journaux s’intéressent davantage à l’affaire Caillaux. Le Kaiser participe à des régates en mer. Cependant, certains esprits clairvoyants s’alarment : Jean Jaurès parle « d’oscillation au bord de l’abîme ». Les nouvelles s’enchaînent, de plus en plus inquiétantes...
Le 30 juillet, une semaine plus tard, la Russie mobilise. La machine de la guerre s’ébranle, il ne sera plus possible de l’arrêter. Le jeu des alliances entraîne l’Europe dans une guerre que l’on imagine dure, certes, mais brève... Commence alors « l’ivresse des cris de joie en marchant à l’abattoir » selon les mots de Stefan Zweig, même si la volonté d’en découdre ne caractérise pas toutes les populations, plutôt graves et résignées. Dès le mois d’août, la réalité du conflit apparaît dans sa violence extrême : l’Europe découvre sur son sol la guerre industrielle.
Le parcours de l’exposition s’organise autour de la chronologie resserrée des évènements du 23 juillet au 4 août 1914 et l’enchaînement des décisions diplomatiques, politiques et militaires qui conduisent à la conflagration générale. Sept séquences thématiques approfondissent la chronologie, permettant au public de mieux comprendre le fonctionnement des sociétés et les mentalités des hommes et des femmes à la veille du conflit. L’exposition commence par une vue d’ensemble des états et de leurs principaux dirigeants politiques. L’Europe vient de connaître une longue période de paix, qui a permis un essor économique sans précédent, une première mondialisation. Jeux Olympiques, Prix Nobel et Expositions universelles forment autant de symboles du cosmopolitisme culturel des années 1900. Toutefois, des tensions persistantes aussi bien en Europe (Alsace-Lorraine, Balkans...) que dans les colonies (crises marocaines...) montrent la fragilité de l’équilibre diplomatique. Parmi les intellectuels, les partisans de la paix, socialistes, chrétiens ou juristes, s’opposent aux nationalistes exacerbés, aux partisans de la guerre régénératrice. La question ne se pose pas aussi nettement dans les populations : les militaires sont très présents dans la vie de tous les jours, et la conscription est une obligation. Le soldat est une figure populaire et appréciée. Dans leurs bureaux, les états-majors se préparent, au cas où une guerre se présenterait : il faut être prêt, en termes de stratégie bien sûr, mais aussi d’armement, de logistique et de formation des officiers ! Les mobilisations en août 1914 montrent à quel point cette préparation a été efficace.
Une dizaine de figures célèbres, parmi lesquelles Marie Curie, Stefan Zweig ou Albert Einstein, permet d’évoquer les répercussions de la crise dans ses dimensions individuelles : si certains sentent monter les périls, d’autres comme J.R. Tolkien restent très indifférents... La fin de l’exposition traite du choc et de la surprise que constituent, au front comme à l’arrière, les premiers effets concrets de la guerre : l’Europe sombre d’un coup dans un monde d’une violence inouïe, avec dès le mois d’août des milliers de victimes, civiles comme militaires.
L’ensemble du parcours s’appuie sur des documents - journaux, lettres, livres, archives photographiques, estampes et objets - issus des départements de la BnF mais aussi des collections du ministère de la Défense, co-producteur de l’exposition, ainsi que du Musée de la Grande Guerre de Meaux, de la Bibliothèque historique de la Ville de Paris et de pièces issues des collections de plus d’une trentaine de prêteurs.
La revue du 14 juillet : en équilibre sur deux bicyclettes. Photographie de presse, agence Meurisse BnF, dpt. des Estampes et de la photographie
Parcours de l’exposition Ouverture
Eté 1914, un été comme les autres
« Même sans la catastrophe qu’il déchaîna sur l’Europe, cet été de 1914 nous serait demeuré inoubliable. Car j’en ai rarement vécu de plus luxuriant, de plus beau, je dirais presque de plus estival. Jour après jour, le ciel resta d’un bleu de soie, l’air était doux sans être étouffant, les prairies parfumées et chaudes, les forêts sombres et touffues avec leur jeune verdure. Aujourd’hui encore, quand je prononce le mot été, je ne peux que songer involontairement à ces radieuses journées de juillet que je passai à Baden, près de Vienne. »
Stefan Zweig, Le Monde d’hier, Paris, Librairie générale française, 2012.
A Paris, l’affaire Caillaux intéresse plus le citadin français que les « bruits de guerre » jugés lointains et presque irréels. La douzième édition du Tour de France bat son plein, et les actualités sportives emplissent les pages des journaux, des courses automobiles aux démonstrations de l’aéroclub de France. Les paysans moissonnent en s’interrogeant sur une possible sécheresse et les journaux relaient l’actualité mondaine d’une saison estivale qui s’annonce prometteuse dans les cités balnéaires malgré un mois de juillet pluvieux et frais sur les côtes françaises. Catalogues, affiches de mode, illustrent ce « bel été » d’une Europe qui vit encore ce que l’on qualifiera plus tard de Belle Époque. On commémore les sept cents ans de la bataille de Bouvines, les suffragettes défilent dans Paris pour réclamer le droit de vote. À Longchamp, la revue du 14 juillet attire une foule dense venue « voir et complimenter l’armée française », avant d’aller danser dans les nombreux bals populaires qui animent villes et villages...
Chronologie
Politiques, diplomates et militaires face aux évènements
Cent ans après, la question de savoir pourquoi la guerre a éclaté au milieu de l’été 1914 continue de se poser. L’absence de réaction spectaculaire de l’Autriche-Hongrie après l’attentat de Sarajevo jusqu’à la remise de l’ultimatum à la Serbie, le 23 juillet, peut faire croire à un règlement pacifique de la crise. Les chefs d’État ne renoncent pas à leurs projets estivaux : Le Kaiser Guillaume II part en croisière. Les Présidents français de la République et du Conseil, Raymond Poincaré et René Viviani, effectuent leur voyage officiel prévu à Saint-Pétersbourg pour réaffirmer l’alliance franco-russe. Rares sont les dirigeants politiques à avoir pris la mesure du danger comme le président du Conseil hongrois, le comte Tisza, qui en se ralliant finalement à l’envoi d’un ultimatum très dur, laisse s’ouvrir un conflit que les puissances centrales souhaitent localisé.
Les systèmes d’alliance qui permettent à l’Autriche-Hongrie et à la Russie d’adopter des politiques intransigeantes et de prendre des initiatives risquées sans en avertir ouvertement leurs alliés, le refus par l’Allemagne d’une conférence internationale proposée par l’Angleterre, enclenchent une mécanique risquée, voire dangereuse. Lorsque, sous la pression de son entourage, le Tsar décrète la mobilisation générale en Russie le 30 juillet, il provoque l’entrée en scène des états-majors, hantés par la crainte de prendre du retard sur l’ennemi, et la déclaration de guerre de l’Allemagne. Alors que les pouvoirs civils semblent hésiter à s’engager dans une guerre européenne, la logique des plans militaires s’impose à eux, interdisant le retour au jeu diplomatique normal.
Hark ! Hark ! The dogs do bark ! Londres, Johnson, Riddle and Co, 1914, lithographie, affiche BnF, dpt. des Estampes et de la photographie
Parcours thématique
Le monde d’hier : l’Europe de 1914
En 1914, voilà plus de quarante ans qu’aucun conflit direct n’a opposé les grands États européens entre eux, du moins sur leur territoire national. À l’exception des crises balkaniques successives, que l’on s’accorde à juger circonscrites, le continent a pour ainsi dire oublié le bruit du canon. Cette Europe pacifiée présente encore un aspect d’Ancien Régime : une galerie de têtes couronnées. À l’exception de la France, de la Suisse et du Portugal, tous les États sont des monarchies. Cette uniformité apparente ne doit pas dissimuler de profondes différences de nature entre les différents États : États anciens aux institutions démocratiques profondément enracinées, comme la France ou le Royaume-Uni, Empires mosaïques diversement confrontés à la question des nationalités et des religions, comme l’Autriche-Hongrie ou l’Empire Ottoman, États jeunes enfin, nés des mouvements nationalistes du XIXe siècle, comme l’Allemagne ou l’Italie, et parfois mal stabilisés dans leurs frontières comme dans leurs institutions, comme la Serbie ou la Bulgarie.
Un concert en apparence bien orchestré règle les relations entre les États. Des visites officielles au faste spectaculaire scandent les relations bilatérales, entretenues le reste du temps par des diplomates dont le rôle est essentiel et la marge d’action considérable. Ce système a jusqu’alors permis de résoudre pacifiquement toutes les crises : pourquoi en serait-il autrement en juillet 1914 ?
La Guerre de demain par le capitaine Danrit, g[ran]d récit patriotique [...] Affiche BnF, dpt. des Estampes et de la photographie
Cosmopolitisme culturel et expansion économique
Même si le mythe de la Belle Époque relève de la reconstruction nostalgique, c’est bien une forme d’âge d’or que connaît l’Europe au début du XXe siècle. La croissance économique, la paix entre les principaux États ont favorisé les échanges et les coopérations internes au continent, ainsi que son rayonnement sur le reste du monde — nourrissant l’image, en partie illusoire, d’une Europe de plus en plus ouverte et interdépendante, dans laquelle la guerre semble une régression improbable.
Le concert diplomatique des nations connaît ainsi des équivalents dans les domaines culturel, intellectuel, scientifique, où des institutions et des événements internationaux favorisent rencontres et échanges, sur un fond de compétition. Expositions universelles, Jeux Olympiques ou Prix Nobel témoignent de l’émulation culturelle et économique des premières années du XXe siècle.
Le cosmopolitisme culturel est à son apogée : l’essor des moyens de transports favorise les voyages. Cette circulation intense des hommes, des œuvres, des idées, s’inscrit dans un contexte d’expansion des échanges économiques. Les capitaux des riches nations rentières d’Europe s’investissent sur tous les continents : mines, canaux, voies ferrées, etc. Même si les économies restent nationales, les coopérations industrielles et financières s’intensifient, créant autant de solidarités que de conflits potentiels. Enfin, l’expansion coloniale européenne atteint son point extrême en Afrique et en Asie, même si de nouvelles puissances commencent à s’affirmer sur la scène internationale.
« Assassinat de l’archiduc héritier d’Autriche et de la duchesse sa femme à Sarajevo » Le Petit journal, supplément illustré, journal du 12 juillet 1914. BnF, dpt. Philosophie, histoire, sciences de l’homme
La guerre à l’horizon ?
Bien que pacifiée et prospère, l’Europe vit aussi dans l’anticipation de conflits plus ou moins latents : la guerre, même indéfiniment différée, fait partie de la vie des États. Ce phénomène a entraîné la constitution de deux blocs d’alliance principaux, système à double tranchant qui, s’il crée une certaine stabilité, engendre aussi des tensions nouvelles et porte en lui un risque d’engrenage, que l’on est jusqu’alors parvenu à conjurer.
Sur le continent, c’est la péninsule balkanique qui concentre les tensions : aux antagonismes complexes entre les petits États nés du retrait ottoman se superposent les stratégies continentales de la Russie et de l’Autriche. Les conflits successifs, violents mais incompréhensibles pour l’opinion publique, sont traités par les chancelleries et arbitrés entre grandes puissances.
Dans le reste du continent, si les contentieux frontaliers n’ont plus autant d’acuité qu’auparavant, la carte de l’Europe n’est pas stabilisée pour autant. Certains conflits gelés constituent d’irrémédiables pierres d’achoppement dans les relations bilatérales, en particulier la question de l’Alsace-Lorraine. Les empires multinationaux (Autriche-Hongrie et Turquie surtout), soumis à des tensions centrifuges, vivent dans la hantise de la décomposition. Enfin, les perceptions particulières de certains États (sentiment d’encerclement de l’Allemagne) et les ambitions géopolitiques de certains autres (objectif russe du contrôle des détroits) sont autant de sources de conflictualité.
Les autres conflits se jouent aux colonies, principalement en Afrique : partage franco-britannique du continent et velléité tardive de l’Allemagne d’en obtenir sa part. Les deux crises marocaines ont ainsi failli dégénérer en guerre européenne. De manière moins intense, la lente décomposition de l’Empire Ottoman suscite des convoitises au Proche-Orient, et une compétition acharnée oppose Allemagne et Grande-Bretagne pour la domination des mers.
Pacifismes et bellicismes
La présence permanente de la guerre, comme fait ou comme hypothèse, à l’arrière-plan des relations internationales et de la vie des États, provoque dans divers milieux une prise de conscience et des initiatives parfois spectaculaires pour défendre et promouvoir la paix. Le pacifisme intellectuel puise sa source dans divers courants : humanisme laïc, christianisme, libéralisme... ; de manière plus politique se développent des actions diplomatiques multilatérales, et certaines institutions transnationales, d’origine étatique ou privée. Enfin, l’internationalisme prolétarien semble la force pacifiste la plus puissante. Mais la diversité même de ces mouvements et la faiblesse de leur écho réel dans les opinions publiques, limitent leur efficacité effective, comme la crise de l’été 1914 le montre.
C’est d’autant plus vrai que face à ces défenseurs de la paix, et à côté du militarisme traditionnel des États, d’autres mouvements intellectuels et littéraires, tout aussi divers, exaltent la guerre, selon un éventail qui va du darwinisme social au mysticisme guerrier, du mythe traditionaliste de la guerre régénératrice à la fascination nihiliste de la table rase. Même s’il s’agit là aussi de phénomènes très minoritaires, incarnés par quelques avant-gardes, ils n’en traduisent pas moins un contexte idéologique et culturel favorable à l’essor de la propagande de mobilisation belliciste, et expliquent le basculement de certaines élites.
La vision des conflits à venir relève souvent du fantasme tant sur la forme de ceux-ci que sur leur origine et leurs buts. Rares sont les visionnaires qui anticipent la guerre totale des nations industrielles.
Soldats allemands quittant Munich [en train, pour aller à Paris], 1914 Photographie Agence Rol BnF, dpt. des Estampes et de la photographie
Tu seras soldat
Fortement présents dans les sociétés européennes d’avant 1914, l’armée et les militaires bénéficient d’un préjugé favorable auprès d’une grande majorité de la population. Les dirigeants des grandes puissances les considèrent comme un instrument indispensable pour peser dans le concert des États. Cette valorisation de l’armée se construit dès l’enfance, notamment par l’intermédiaire de l’école. Livres de lectures, manuels d’histoire ou de morale, ouvrages remis aux prix de fins d’année, comme les romans de Driant, contribuent à familiariser les enfants avec le fait militaire. La condition du soldat fait l’objet d’une idéalisation concertée de la part des éducateurs, souvent dans la perspective de populariser l’obligation militaire qui s’est généralisée, sauf en Grande-Bretagne.
Le développement progressif de la conscription constitue une tendance nette, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, particulièrement en France et en Allemagne. Ses effets sociaux et politiques sont importants : ils contribuent à désenclaver partiellement l’armée du reste de la société et à augmenter nettement les effectifs permanents disponibles en temps de paix. Ce poids croissant ne va pas sans susciter des réticences, qui restent minoritaires.
Les militaires sont à l’honneur dans de nombreuses manifestations publiques, dans des occasions et sous des formes variées : défilés officiels à l’occasion des fêtes nationales, fanfares, commémorations. Revers de la médaille, les militaires sont aussi envoyés contre les grévistes et manifestants, au grand déplaisir des officiers, qui estiment que le maintien de l’ordre n’entre pas dans les attributions des soldats.
Préparer la guerre
Malgré la longue période de paix entre les grandes puissances européennes de 1871 à 1914, les militaires se veulent des professionnels de la guerre : leur devoir est de la préparer activement. Dans les armées des grands États, notamment en France et en Allemagne, des doctrines s’élaborent, recherchant les clefs de la bataille décisive dans l’étude des glorieux prédécesseurs (Hannibal, Frédéric II de Prusse, Napoléon...). Une victoire rapide et complète sur l’ennemi semble possible. Depuis 1906, l’état-major allemand, qui ne rend pas compte des choix militaires au pouvoir civil, modifie assez peu l’ambitieux plan rédigé par Schlieffen. L’état-major français marque des évolutions plus notables, même s’il tient toujours compte des fortifications du système Séré de Rivières. Quelques années avant 1914, le choix en faveur de l’offensive est sensible dans toutes les armées. Les conflits périphériques récents (guerre des Boers, guerre russo-japonaise, guerres balkaniques) sont scrutés avec soin, mais les avis divergent sur les enseignements à en tirer.
La formation des cadres apparaît essentielle : les enseignements des écoles d’officiers sont approfondis et renouvelés ; les grandes manœuvres aident le commandement à tester et à diffuser ses conceptions. L’instruction des troupes est aussi une priorité, et parfois un sujet de débats, ainsi sur la valeur opérationnelle des réservistes.
Dans les années 1912-1913, les chefs militaires poussent les gouvernements à augmenter les effectifs en temps de paix, afin de parer à toute éventualité. En France, voire en Grande-Bretagne, l’appel aux ressources de l’empire colonial est envisagé. Parallèlement, de nouveaux armements sont développés (les mitrailleuses sur terre, les dreadnoughts sur mer), sans que leurs effets stratégiques et tactiques soient toujours bien anticipés.
Inscription des étrangers avant leur évacuation, pour certains, en Bretagne Paris, 5 août 1914 Photographie Agence Rol BnF, dpt. des Estampes et de la photographie
Mobilisations
À l’exception de la Grande-Bretagne, les grands États européens ont établi, à la fin du XIXe siècle, un service militaire obligatoire, qui prépare l’irruption des masses dans l’histoire. Pour les chefs militaires, le moindre retard dans la mobilisation risque d’avantager l’ennemi. En outre, les traités d’alliance (ainsi entre la Russie et la France) prévoient de brefs délais de mobilisation, afin de renforcer l’assistance réciproque. Les états-majors pressent leurs gouvernements de très vite lancer la mobilisation générale. Celle-ci est planifiée de longue date : les voies ferrées y jouent un rôle fondamental. Les effectifs acheminés sont sans précédent.
Les réactions des opinions publiques, longtemps présentées comme enthousiastes, sont complexes. Les populations rurales passent de la quiétude à l’incrédulité et à la stupeur ; une résignation générale, souvent consternée, prévaut ensuite. Les villes connaissent des mouvements plus contrastés, avec des démonstrations patriotes spontanées dans certaines grandes villes d’Allemagne ou de Russie, mais aussi les premières paniques économiques (retraits bancaires et achats de produits alimentaires massifs). On observe en divers lieux des violences xénophobes.
L’opposition politique à la guerre, sans être inexistante (meetings et manifestations pacifistes sur les Grands Boulevards parisiens le 27 juillet, démission de deux ministres britanniques le 3 août), cesse très vite, notamment chez les socialistes français le 1er août, au lendemain de l’assassinat de Jean Jaurès. Après la proclamation de la mobilisation, les populations acceptent ce qui semble une réponse à l’agression. Le 4 août, à « l’Union sacrée » du discours de Poincaré répond en Allemagne, le « Burgfrieden » et le « il n’y a plus que des Allemands » de Guillaume II. L’état de guerre provoque partout la suspension des libertés publiques, mais la trêve des partis en limite les applications répressives.
Message du Président de la République. Affiche du discours de l’Union sacrée, 4 août 1914 BnF, dpt. des Estampes et de la photographie