Prolongation des centrales nucléaires, des investissements colossaux dont la faisabilité ne saurait être garantie.
Alors que l’Autorité de Sûreté Nucléaire a été auditionnée par la commission d’enquête parlementaire relative aux coûts de la filière nucléaire et plus particulièrement de la prolongation d'exploitation des centrales, de l'évolution du parc et le déploiement de réacteurs de 3ème génération, une étude commandée par l’ONG Greenpeace, à partir de 3 sécénarios, montre que les investissements nécessaires à la prolongation des durées de vie pourraient coûter plus de quatre fois plus cher que ce qu’envisage aujourd’hui EDF, si ces exigences devaient se rapprocher sérieusement de celles de nouveaux réacteurs comme l’EPR.
L’étude menée par l’agence d’information et d’études sur l’énergie et commanditée par Greenpeace montre que l’échéance des 40 ans de durée de vie des 58 réacteurs nucléaires d’EDF est une étape majeure qui n’a pas été suffisamment anticipée, alors que près des deux tiers doit l’atteindre d’ici à 2025. Elle expose que face à ce retard, pointé par la Cour des Comptes comme par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), des décisions urgentes deviennent cruciales pour maîtriser la sûreté, les coûts, et une évolution du parc compatible avec l’engagement de ramener la part du nucléaire à 50% de la production d’électricité à l’horizon 2025 fixé par le Président de la République.
L’étude, intitulée ‘’L’échéance des 40 ans pour le parc nucléaire français - Processus de décision, options de renforcement et coûts associés à une éventuelle prolongation d’exploitation au delà de 40 ans des réacteurs d’EDF’’ fait apparaître que cette urgence est d’autant plus grande qu’EDF a fait le choix stratégique, à partir de 2008, de retarder l’éventuel remplacement de son parc par des nouveaux réacteurs, au profit d’une prolongation jusqu’à 50 voire 60 ans de durée de vie. Cette stratégie s’appuie sur l’idée que cette prolongation ne pose pas de problème de sûreté majeur, qu’elle est l’option la moins coûteuse et que l’exploitation prolongée des réacteurs constitue une « rente » dont il faut se saisir.
L’analyse détaillée de la situation du parc nucléaire, du cadre réglementaire, des enjeux de sûreté et des conditions dans lesquelles des prolongations pourraient être envisagées montre au contraire qu’il s’agit d’opérations complexes, potentiellement très coûteuses, et dont la faisabilité réglementaire et technique ne saurait être garantie.
Scénarios et coûts
L’enquête s’est donc axée autour de trois scénarios de renforcement auxquels pourraient conduire différents niveaux d’exigence de sûreté applicables au delà de 40 ans. Elle montre que les investissements nécessaires à la prolongation de durée de vie pourraient être plus de quatre fois supérieurs à ce qu’envisage aujourd’hui EDF, si ces exigences devaient se rapprocher sérieusement de celles de nouveaux réacteurs comme l’EPR.
Toutefois, l’étude signale qu’EDF n’a pas encore communiqué sur le détail des opérations et des coûts prévus dans son plan de prolongation de la durée de vie des réacteurs. Partie de 400 M€ par réacteur en 2008, sa prévision a depuis été relevée pour atteindre, dans le plan de « grand carénage » programmé à partir de 2015, un total de 55 Md€ pour l’ensemble du parc (dont 10 Md€ environ consacrés aux renforcements issus du retour d’expérience de la catastrophe nucléaire survenue en 2011 à Fukushima).
Malgré des incertitudes fortes sur les coûts, un scénario d’exigences élevées pourrait conduire, selon la décomposition des renforcements correspondants et de leur coût proposée dans cette étude, à un investissement moyen d’environ 4,5 Md€ par réacteur.
Quelques dispositifs lourds essentiels pour satisfaire ces exigences, tels que la « bunkerisation » de certains éléments vitaux et la construction d’une enceinte de protection des piscines de combustible, représentent plus de la moitié de cette estimation. Un scénario médian, renonçant à ces dispositifs tout en maintenant certaines exigences, coûterait néanmoins environ 2 Md€ par réacteur.
Seul un scénario de sûreté dégradée, où les renforcements consentis ne compensent pas les faiblesses connues des réacteurs vieillissants, conduit à une estimation d’environ 0,8 Md€ par réacteur.
Exigences de sûreté
Ces scénarios s’appuient sur une analyse détaillée des caractéristiques, du fonctionnement et des principes de sûreté des réacteurs, des enjeux de sûreté liés au vieillissement et des enseignements de Fukushima, ainsi que des prescriptions imposées à ce titre à EDF par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
L’étude observe que les réacteurs ont été conçus pour une durée de vie technique ne dépassant pas 40 ans. Et rajoute que le vieillissement de leurs équipements peut être combattu, et ses effets retardés, mais il dégrade inéluctablement les performances d’éléments lourds non remplaçables tels que la cuve du réacteur et son enceinte de confinement, tout en augmentant le risque de défaillance des équipements diffus.
Ensuite l’enquête précise, par ailleurs, que le parc nucléaire a été conçu entièrement et déployé pour l’essentiel avant les accidents nucléaires de Three Mile Island (1979) et Tchernobyl (1986). La catastrophe de Fukushima a définitivement mis en évidence les défaillances profondes de la doctrine de « défense en profondeur » de ces réacteurs vis-à-vis du risque d’accident majeur.
L’étude estime que la prolongation de leur exploitation suppose l’application des exigences de sûreté beaucoup plus strictes qui s’imposent progressivement après Fukushima à des réacteurs non conçus pour ce genre de scénarios, et dont la vulnérabilité augmente en raison des dégradations liées au vieillissement. Il n’est pas certain que les solutions techniques existent pour concilier durablement ces contraires.
Beaucoup de prescriptions imposées par l’ASN dans le cadre des réexamens de sûreté à 30 ans ou des évaluations complémentaires de sûreté restent suspendues à des études ou qualifications supplémentaires. Des sujets majeurs tels que l’élargissement des scénarios d’accident, ou encore la prise en compte du vieillissement dans ces scénarios les plus sévères, restent en suspens.
L’enquête mentionne qu’il n’est plus envisageable de poursuivre le processus d’amélioration continue du référentiel de sûreté qui a prévalu jusqu’ici. La France doit définir un référentiel nouveau et spécifique, adapté aux enjeux de l’exploitation éventuelle de ses réacteurs nucléaires au delà de leur dimensionnement initial pour 40 ans dans le contexte de l’après Fukushima.
Processus de décision
Autre observation, l’enquête montre que le risque de fait accompli en faveur de prolongations et le lien étroit entre leur rentabilité, leur faisabilité, et leur niveau de sûreté exigent la mise en place au plus vite d’un cadre de décision qui n’existe pas aujourd’hui. Et précise que ce processus devra répondre aux besoins de visibilité industrielle d’EDF, aux principes fondamentaux d’accès à l’information et de réelle participation du public aux décisions, et au respect des orientations fixées dans le cadre de la politique énergétique.
Ainsi, l’étude explique que des nouveaux mécanismes doivent définir, dans le cadre d’un dispositif global de planification énergétique conforme aux engagements, les conditions dans lesquelles des décisions individuelles de fermeture pourront s’imposer aux différents réacteurs avant 40 ans, et celles dans lesquelles leur prolongation pourrait être envisagée au delà.
Le changement de référentiel et les renforcements associés à une éventuelle prolongation constituent des modifications telles qu’elle est assimilable, du point de vue réglementaire, à la création d’une nouvelle Installation nucléaire de base(INB). Celle-ci donne notamment lieu à une procédure d’enquête publique, et au delà de 300 M€, à une saisine de droit de la Commission nationale du débat public (CNDP). Un débat public par réacteur concerné, ou en amont autour d’orientations génériques sur la prolongation de durée de vie, doit donc être également envisagé.
Facteur temps
Le facteur temps constitue, compte tenu du calendrier très tendu, un enjeu essentiel. Le phasage entre les décisions et les éventuels travaux doit éviter à la fois le risque de prolongations « forcées » par des investissements anticipés et celui d’investissements perdus par des refus tardifs.
Il faut, conformément à l’engagement de l’ASN, anticiper l’ensemble des actions pour s’assurer qu’aucun réacteur ne fonctionne au-delà de 40 ans sans avoir fait l’objet d’une autorisation de prolongation et subi les travaux de renforcement nécessaires à cette éventuelle autorisation.
C’est un défi majeur, au regard des incertitudes à lever, de la prévision de charge engendrée par ce programme, et de la dérive d’ores et déjà observée. Sur 27 réacteurs dépassant 30ans de fonctionnement depuis leur démarrage, seuls cinq ont obtenu une autorisation de poursuite d’exploitation, en moyenne après plus de 34 ans, tandis qu’onze n’ont pas commencé leur réexamen.
Avec un bilan de l’état technique et réglementaire du parc vis-à-vis de l’échéance des 40 ans, une analyse critique des enjeux de sûreté attachés aux prolongations de réacteurs au delà, des propositions de scénarios techniques de renforcement correspondants et des premières estimations de coûts associés, ce rapport espère contribuer à la réflexion nécessaire sur les décisions à prendre rapidement.