De la Biomasse pour chauffer les serres…
Principaux interessés, agriculteur, horticulteur, marâicher, les serres constituent l’un des enjeux pour la production agricole. Bien conçu le chauffage des serres peut révéler une valeur compétitive pour l’exploitation, la biomasse constitue une véritable alternative. A la fois économique et durable.
Plusieurs producteurs ont choisi cette solution pour chauffer leurs serres. Près de 300 ha de serres sont ainsi équipées en France de chaufferie bois ou biomasse. Même si la conception d’une telle installation nécessite des études en amont, notamment pour dimensionner précisément les besoins et s’assurer de la disponibilité en combustible dans la région locale. L’exploitation demande également un bon niveau technique, une bonne connaissance de la réglementation, et un suivi constant. Néanmoins, de réelles économies, et surtout la sérénité de ne plus directement dépendre du prix du pétrole, sont à portée de main.
Si le « bois bûche » est naturellement la plus connue des biomasses de chauffage, il en existe en réalité beaucoup d’autres formes, aux qualités contrastées (forme, humidité, stockage, capacité calorifique, pureté...). Chaque projet doit donc prendre en compte la biomasse disponible dans votre région, d’un point de vue technique et logistique. On distingue en effet plusieurs types de biomasses selon leurs filières de provenance :
• La filière forestière produit des bûches, dont les qualités varient très fortement (selon l’essence, le conditionnement, le séchage), et des plaquettes forestières, qui sont des branchages déchiquetés vendus en vrac. Les bûches et plaquettes ont notamment pour avantage de pouvoir être produites sur place par le serriste lui-même.
• La filière industrielle fournit des écorces, peu calorifiques mais bon marché, des copeaux et sciures, qui nécessitent des chaudières adaptées, et des plaquettes de scierie. Elle propose aussi des combustibles à plus forte valeur ajoutée : les granulés ou pellets, ainsi que les briquettes ou bûchettes reconstituées. Très secs, ces produits offrent de très bons rendements calorifiques, et sont faciles à transporter et à manipuler. Ils sont aussi les plus chers...
• La filière déchets propose du bois déchiqueté en fin de vie provenant de chantiers de démolition, de l’industrie, de la logistique (emballages, palettes), de déchèteries, etc. Bon marché et présentant un assez bon pouvoir énergétique, ces combustibles sont en revanche plus compliqués à utiliser (broyage, déferraillage...) et présentent rarement une quali- té constante. Ils sont néanmoins très utilisés par les serristes.
La SCEA Légumenfrais est une exploitation agricole spécialisée dans la production de concombres (1 800 tonnes par an). Les légumes sont produits sous 30 000 m2 de serres maraîchères, ce qui permet d’avoir une température constante quelles que soient les conditions extérieures pendant la période hivernale. Il s’agit de serres modernes, étanches aux vents, dotée d’un écran thermique mobile en toile tissée qui permet d’économiser près de 40% d’énergie lorsqu’il est fermé. Pour chauffer ses serres, Légumenfrais disposait d’un système combinant une chaudière à charbon de 2,6 MW et deux chaudières au butane de 2 MW et de 1,2 MW. L’exploitation achetait ainsi plus de 1 200 tonnes de charbon, une énergie fossile chère et polluante. En 2004, préoccupé par la pérennité économique de son entreprise, le dirigeant de Légumenfrais cherche une solution pour limiter ses consommations énergétiques tout en préservant l’environnement. C’est pourquoi il décide de remplacer la chaudière à charbon par un système innovant de chaufferie biomasse à paille et de conserver les deux chaudières au butane comme matériel de secours. Après quatre ans consacrés à rechercher les meilleures solutions techniques, la nouvelle chaufferie est inaugurée en juin 2008.
Pour une exploitation agricole spécialisée dans le maraîchage hors sol, le chauffage peut représenter jusqu’à 35% des charges variables. L’enjeu économique de la maîtrise des consommations est donc très important. Pour Légumenfrais, la part de l’énergie représentait 21,6% de ses charges de fonctionnement. Les variations du prix du charbon ne permettaient pas d’avoir une lisibilité sur l’évolution de ce poste budgétaire. De plus, les émissions de gaz à effet de serre étaient très importantes : 2 700 tonnes par an lorsque l’exploitation comptait de 2 hectares de serre de concombres (avant 2007), puis 4 000 tonnes par an lorsqu’elle est passée à 3 hectares.
Dans le cadre de son action d’accompagnement des acteurs écono- miques vers la réduction de leur émission de gaz à effet de serre et du recours aux énergies fossiles, l’ADEME a soutenu le projet de Légumenfrais à travers le Fonds Régional de l’Environnement, de la Maîtrise de l’Energie et du Développement Durable (FREMEDD) créé en partenariat avec le Conseil régional de Champagne-Ardenne.
La SCEA Légumenfrais a d’abord fait réaliser une étude de faisabilité pour s’assurer que le choix de la biomasse était adapté à ses besoins et pour valider la viabilité de l’investissement. Des producteurs céréaliers locaux intéressés ont été identifiés afin de garantir l’apport de pailles de blé, d’orge ou encore d’escourgeon en quantité suffisante. Le dirigeant s’est ensuite rendu en Pologne et au Danemark, pays en pointe dans le domaine, pour visiter des installations déjà équipées de chaufferies à paille et comparer les systèmes proposés par les constructeurs. Son choix s’est finalement porté sur un modèle danois « Reka » : une chaufferie paille couplée à une hydro-accumulation gérée en « open buffer », une technologie qui place le stockage de l’eau chaude au cœur du système. La serre est en effet chauffée par un réseau de tuyaux dans lesquels circule de l’eau chaude. Les tuyaux sont répartis au cœur de la végétation et à 10 centimètres du sol. Ils sont alimentés par un ballon de stockage de 380 m3, l’eau du ballon étant chauffée par la chaudière. Cette technique permet à celle-ci de fonctionner à régime constant et de réaliser d’importantes économies d’énergie. La chaudière est également équipée d’un filtre à manche Simatek qui réduit considérablement les poussières contenues dans les fumées (inférieures à 40 mg/Nm3). Les cendres issues de la combustion sont réutilisées comme amendement agricole.
Pour stocker la paille, il a fallu construire un hangar d’une capacité de 50 tonnes ainsi qu’un système d’acheminement automatique des ballots par convoyeur. D’une puissance de 2 800 kW, la chaudière est alimentée par des ballots de paille de 400 à 500 kg qui sont tranchés avant d’être introduits. En pleine période de chauffage, un ballot est introduit dans la chaudière toutes les 35/40 minutes et il faut environ 2 600 tonnes de paille par an pour couvrir les besoins de l’installation et assurer la production d’eau chaude nécessaire au chauffage de la serre. Un système de télégestion détermine les besoins de chaleur qui varient en fonction des saisons.
Avec ce système, Légumenfrais achète environ 2 600 à 3 000 tonnes de paille par an, l’approvisionnement étant assuré par des céréaliers locaux. Comparé à l’achat du charbon pour le fonctionnement de l’ancienne chaudière, l’exploitation réalise une économie annuelle d’environ 75 000 €, ce qui donne un temps de retour sur investissement d’environ 7 ans. En substituant la paille au charbon, énergie fossile, l’exploitation évite également l’émission de quelques 4 000 tonnes de CO2 par an.
M. Patrick Marchal, gérant de la SCEA Légumenfrais :
« Ce projet a été assurément le plus important de toute ma carrière. Notre profession est en effet victime de la flambée des prix de l’énergie et la société aurait sans doute été amenée à déposer son bilan si nous n’avions pas pu réaliser cet investis- sement. Nous continuons par ailleurs à moderniser notre activité et nous réfléchissons à la possibilité de mettre en place un dispositif de récupération de chaleur des fumées émises par la chaudière ».
La Champagne-Ardenne et le département de la Marne étant des zones très céréalières, la ressource en paille mobilisable pour la production d’énergie est très largement supérieure aux besoins de Légumenfrais. Deux fournisseurs locaux ont ainsi pu être rapidement identifiés dans un rayon de 15 kilomètres autour de l’exploitation, ainsi qu’un négociant se déclarant prêt à sécuriser l’apport de paille en cas de défaillance. La contractualisation entre Légumenfrais et les céréaliers a permis à l’exploitation agricole de s’affranchir de la volatilité des prix de la paille tout en assurant un revenu satisfaisant aux fournisseurs.
Il existe encore très peu de chaufferies biomasse à paille en France. Celles-ci peuvent se développer car les gains financiers peuvent être très importants et l’impact environnemental est immédiat. En revanche, il est impératif de disposer d’une source d’approvisionnement locale et fiable sans compromettre l’équilibre agronomique des sols agricoles.
Fiche techniques :
Organisme
SCEA Légumenfrais
Partenaires
- ADEME Direction régionale Champagne- Ardenne
- Conseil régional de Champagne-Ardenne
Coût (HT)
Coût de l’étude de faisabilité : 12 500 € Coût pour les travaux : 877 k€ (construction d’un hangar, acquisition et installation de la chaufferie et du système d’acheminement des ballots de paille)
Financement ADEME :
- 4 375 € pour l’étude de faisabilité
- 168,5 k€ pour l’investissement
Financement Conseil régional de Champagne-Ardenne :
- 4 375 € pour l’étude de faisabilité
- 168,5 k€ pour l’investissement
Bilan « Développement Durable » en chiffres
- arrêt du charbon
- 2 600 tonnes de pailles brûlées par an
- 4 000 tonnes de CO2 évitées par an
- 75 000 € d’économies annuelles (temps de retour sur investissement d’environ 7 ans)
- approvisionnement local (rayon de 15 km)
Date de lancement
2008