Entre 15 % et 30 % des volumes de bois commercialisés dans le monde sont obtenus de manière illégale
Dans un rapport intitulé ‘’CARBONE VERT, MARCHÉ NOIR - EXPLOITATION ILLÉGALE, FRAUDE FISCALE ET BLANCHIMENT DANS LES FORÊTS TROPICALES DU MONDE’’, le PNUE et Interpol ont mis l’accent sur l’exploitation illégale du bois et ses conséquences sur la vie et les moyens de subsistance de certaines des populations les plus pauvres au monde, sans parler des dégâts environnementaux. Le rapport souligne comment les criminels recourent à une combinaison de méthodes anciennes, telles que les pots-de-vin, et de méthodes de pointe, telles que le piratage informatique, pour obtenir des permis de transport ou autres. Par ailleurs, le rapport montre les techniques de plus en plus sophistiquées utilisées pour blanchir des grumes illégales grâce à un réseau de plantations de palmiers à huile, d’axes routiers et de scieries.
Le rapport permet aussi d’expliquer clairement que l’exploitation illégale ne diminue pas, bien au contraire, car les cartels sont mieux organisés et déplacent notamment leurs activités illégales afin d’échapper aux services de police locaux ou nationaux. Selon certaines estimations, entre 15 % et 30 % des volumes de bois commercialisés dans le monde sont obtenus de manière illégale. Si rien n’est fait, les actes criminels de quelques-uns pourront compromettre non seulement les perspectives de développement de beaucoup d’autres, mais aussi certaines des initiatives créatives et inspiratrices qui sont introduites et destinées à récompenser les pays et les communautés pour les services écosystémiques offerts par les forêts.
L’un des principaux instruments permettant d’initier un changement environnemental positif et un développement durable est l’initiative de réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation de la forêt (REDD ou REDD+). Si l’on veut que l’initiative REDD+ soit pérenne à long terme, cela exige, d’une part, que tous les partenaires ajustent leurs opérations et veillent à respecter les normes de rigueur les plus élevées et, d’autre part, que les efforts de réduction de la déforestation dans une zone donnée ne soient pas contrebalancés par une augmentation ailleurs.
Pour s’assurer du succès du programme REDD+, les montants versés aux communautés pour leurs actions de conservation doivent être plus importants que les gains tirés d’activités qui dégradent l’environnement. L’exploitation illégale est une menace pour ce système de paiement si les sommes illégales passant de mains en mains sont plus importantes que les versements effectués au titre dudit programme.
Les forêts mondiales représentent l’un des piliers les plus importants pour lutter contre le changement climatique et assurer le développement durable. Selon les estimations, la déforestation, qui concerne principalement les forêts tropicales humides, est à l’origine de 17 % de l’ensemble des émissions induites par l’homme, soit 50 % de plus que les émissions générées par les transports maritime, aérien et terrestre combinés. Aujourd’hui, il ne reste qu’un dixième de la surface mondiale des forêts primaires.
Les forêts préservent la biodiversité et fournissent également des ressources en eau, des produits médicinaux, des nutriments recyclés pour l’agriculture et elles jouent un rôle dans la prévention des inondations ; elles sont cruciales pour la transition vers une économie verte dans le contexte du développement durable et de l’éradication de la pauvreté.
Une collaboration internationale renforcée en matière de législation environnementale et de son application n’est par conséquent pas qu’une option parmi d’autres. C’est en réalité la seule réponse pour lutter contre une criminalité internationale organisée qui menace les ressources naturelles, la soutenabilité environnementale et les efforts visant à sortir des millions de personnes de la misère.
Les forêts mondiales capturent le CO2 et le stockent (c’est ce que l’on appelle le carbone vert), ce qui contribue à atténuer le changement climatique. Cependant, on estime que la déforestation représente 17 % des émissions de carbone mondiales, soit 1,5 fois plus que la totalité du trafic aérien, routier, ferroviaire et maritime.
La grande majorité de la déforestation et de l’exploitation illégale se produit dans les forêts tropicales situées dans le bassin de l’Amazone, en Afrique centrale et en Asie du Sud-Est. Selon des études récentes sur l’étendue de l’exploitation illégale, celle-ci représenterait 50 % à 90 % de l’ensemble des activités forestières dans les principaux pays tropicaux producteurs et 15 % à 30 % à l’échelle mondiale. Dans le même temps, la valeur économique de l’exploitation illégale mondiale, notamment de la transformation, est estimée entre 30 milliards et 100 milliards de dollars américains, soit 10 % à 30 % du commerce mondial du bois.
Plusieurs dispositifs et programmes de certification ont évolué afin de réduire l’exploitation illégale. Ces mécanismes, qui incluent par exemple les accords volontaires de partenariat (AVP) du Plan d’action pour l’application des réglementations forestières, la gouvernance et les échanges commerciaux (FLEGT) ou la certification du Forest Stewardship Council (FSC), permettent de regrouper les parties prenantes et de créer des incitations à l’exportation légale et à une gestion plus durable des forêts.
La Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) est de plus en plus utilisée par les États pour s’assurer que les échanges concernant certaines essences de bois énumérées dans une liste sont légales, durables et traçables. Environ 350 espèces d’arbres sont désormais incluses dans les trois annexes de la CITES et la commercialisation des produits qui en sont issus est par conséquent réglementée afin d’éviter toute utilisation incompatible avec leur préservation. La CITES travaille également avec l’Organisation internationale des bois tropicaux (OIBT) pour promouvoir la gestion durable des forêts et renforcer la capacité des pays en développement à réellement mettre en œuvre la convention en ce qui concerne les essences d’arbres listées.
Le principal objectif des mécanismes évoqués ci-dessus est d’encourager le commerce légal. À l’exception de la CITES, ils ne sont pas conçus pour lutter contre le crime organisé et ne sont pas efficaces pour combattre l’exploitation illégale, la corruption et le blanchiment de bois illégaux dans les régions tropicales. Les autres incitations et subventions visant à offrir des revenus de substitution ne peuvent être efficaces si l’exploitation illégale et le blanchiment sont plus rentables et très peu risqués. D’un point de vue économique, la corruption collusoire généralisée (des fonctionnaires locaux jusqu’au système judiciaire), associée aux structures gouvernementales décentralisées dans de nombreux pays tropicaux, n’incite pas ou peu les exploitants illégaux et les fonctionnaires corrompus à modifier leurs pratiques.
Pour devenir efficaces, les programmes commerciaux volontaires et la mise en œuvre réelle de la CITES doivent être associés à un effort international d’enquête et d’appui en matière d’application des lois, en collaboration avec les forces de l’ordre nationales et des équipes spéciales d’investigation dans chaque pays. Cela afin d’éviter qu’une réduction de l’exploitation illégale dans un lieu donné soit contrebalancée par des augmentations ailleurs, à mesure que les cartels internationaux se tournent vers de nouvelles sources de bois illégal.
Ces cinq dernières années, on est passé d’une exploitation illégale directe à des méthodes plus sophistiquées de recel et de blanchiment du bois. Ce rapport recense plus de 30 manières d’abattre illégalement, de blanchir, de vendre et de commercialiser des grumes illégales. Les principales méthodes incluent la falsification de permis d’exploitation ; le versement de pots-de-vin pour obtenir des permis (atteignant dans certains cas 20 000 à 50 000 dollars par permis) ; l’abattage en dehors des concessions ; le piratage de sites Internet gouvernementaux afin d’obtenir des permis de transport et des quotas plus importants ; le blanchiment de bois illégal via la construction de routes, de fermes d’élevage, de plantations de palmiers à huile ou de forêts ; et le mélange de bois illégal et de bois légal durant le transport ou dans les scieries.
Au milieu des années 2000, la baisse tant vantée de l’exploitation illégale dans certaines régions tropicales a principalement résulté d’un effort à court terme de lutte contre la fraude. Or, les tendances à long terme montrent que cela a été temporaire et que l’exploitation et le commerce illégaux se poursuivent. Plus important, la baisse apparente de l’exploitation illégale est parfois due à des opérations de blanchiment plus sophistiquées qui dissimulent les activités criminelles, et pas forcément à une baisse globale de l’abattage illégal. Dans de nombreux cas, la multiplication par trois des volumes de bois « originaires » de plantations dans les cinq ans ayant suivi les opérations de répression s’explique en partie par les activités de couverture des criminels pour légaliser et blanchir le bois d’origine illégale. Une autre forme d’activité illégale consiste de plus en plus à construire des routes et à abattre de larges couloirs, ce qui facilite le défrichage par des colons démunis, qui sont ensuite chassés par les éleveurs de bétail et les producteurs de soja, comme cela s’est produit en Amazonie. Les entreprises gagnent de l’argent en défrichant la forêt originelle, puis elles conduisent les fermiers pauvres à convertir les superficies défrichées en terres arables avant de les repousser afin d’y établir des pâturages pour leur bétail. Les activités frauduleuses incluent également la falsification de l’écocertification.
Une autre manière efficace de blanchir des grumes consiste à introduire de grands volumes de bois illégal dans des plantations légales, à l’étranger ou dans les scieries. Dans certains cas, les contrevenants mélangent des bois illégaux avec 3 à 30 fois la quantité de bois officiellement transformé, ce qui constitue également une fraude fiscale. Nombre de ces opérations illégales impliquent le versement de pots-de-vin aux agents forestiers, aux policiers et aux militaires, voire de redevances aux chefs de village locaux.
Les opérations d’exploitation illégale se sont même parfois accompagnées de meurtres, de violences, de menaces et d’atrocités à l’encontre des populations vivant dans les forêts. Les difficultés déjà rencontrées par les peuples autochtones sont d’autant plus importantes que les entreprises blanchissent à présent des grumes illégales à l’aide de faux permis pour des programmes d’élevage de bétail ou d’installation de plantations.
Une grande partie de l’activité de blanchiment de bois illégal ne serait pas possible sans les importants flux de financement fournis par des investisseurs basés en Asie, en UE et aux États-Unis, notamment les investissements réalisés via des fonds de pension. Alors que des fonds sont mis à disposition pour mettre en place des activités de plantation afin de blanchir du bois illégal et obtenir illégalement des permis ou verser des pots-de-vin, les investissements, la corruption collusoire et la fraude fiscale, conjugués à un faible risque et à une forte demande en font une activité très rentable dont les revenus sont, pour toutes les parties concernées, 5 à 10 fois plus élevés que ceux des pratiques légales. Cela compromet également le système de subventions existant dans plusieurs pays et incitant à adopter d’autres moyens de subsistance.
Les actions entreprises pour mettre fin à ce marché noir doivent se concentrer sur l’augmentation de la probabilité d’appréhender les associations d’exploitants illégaux et leurs réseaux, et sur la réduction des volumes de bois issus de régions enregistrant un degré élevé d’activités illégales, en adaptant une approche de lutte pluridisciplinaire, en créant des incitations économiques décourageant l’utilisation de bois originaire de ces régions et en introduisant un système de notation des entreprises basé sur leur implication dans les pratiques illégales, afin de dissuader les investisseurs et les marchés de les financer. Combinées à des incitations économiques, par le biais du programme REDD+, et à des possibilités commerciales, via la CITES et le FLEGT, ces actions peuvent contribuer à réduire la déforestation et, in fine, les émissions de carbone.
La priorité doit également être accordée aux enquêtes sur la fraude fiscale, la corruption et le blanchiment, notamment en augmentant considérablement les capacités d’enquête et d’appui aux activités des équipes nationales travaillant avec Interpol contre les sociétés d’exploitation, les plantations et les scieries.
Nouvellement créé, le Consortium international de lutte contre la criminalité liée aux espèces sauvages (ICCWC), présidé par le secrétariat de la CITES et composé d’Interpol, de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC), de la Banque mondiale et de l’Organisation mondiale des douanes (OMD), est l’expression d’un nouvel engagement important dans le partage et la coordination du vaste effort international visant à lutter contre les crimes liés aux espèces sauvages, notamment l’exploitation illégale des forêts.
L’ICCWC représente l’ensemble de la chaîne de contrôle de la réglementation (douanes, police et justice). Il s’attaque également au blanchiment d’argent et sert de modèle à l’échelle internationale en montrant le type de coopération nécessaire entre les forces de l’ordre à l’échelle nationale, afin de lutter plus efficacement contre le commerce international illégal de produits ligneux.
Le coût de mise en place d’un réel mécanisme international de lutte antifraude et de capacités de formation visant à réduire fortement les émissions issues de l’exploitation illégale est estimé à environ 20-30 millions de dollars par an. Alors qu’Interpol dirige actuellement le volet policier des opérations, via le projet LEAF, sa réussite dépend d’un engagement fort, constant et durable de la part des gouvernements, de la société civile et du secteur privé.
7 recommandations :
1) Étudier et renforcer les possibilités de financement pour le développement d’un véritable programme d’assistance pour l’application de la loi en faveur des forêts (LEAF), sous l’égide d’Interpol et du PNUE, en collaboration étroite avec tous les partenaires de l’ICCWC, les initiatives REDD+ et FLEGT, ainsi que les autres programmes et organisations concernés. L’objectif du LEAF est d’entreprendre des actions internationales coordonnées et d’améliorer l’application des lois et la réalisation des enquêtes dans les pays, afin de réduire l’exploitation forestière illégale, le commerce international de bois coupé illégalement et la corruption forestière, notamment la fraude fiscale et le blanchiment.
2) Accroître les capacités nationales d’enquête et d’appui aux opérations grâce à un dispositif de formation par Interpol, afin de renforcer et de créer des équipes spéciales nationales de lutte contre l’exploitation illégale et le blanchiment. Cela inclut le renforcement de la coopération et de la coordination entre les services de répression en favorisant la formation d’équipes spéciales nationales chargées d’assurer l’application des lois et règlements liés aux forêts.
3) Centraliser à l’échelle nationale l’émission des permis de défricher (à des fins d’exploitation, de plantation ou d’élevage de bétail) et des autorisations de transport routier du bois, et prévoir de solides mesures de lutte contre la contrefaçon.
4) Créer un système de classification Interpol des régions géographiques au sein des pays, selon le degré suspecté d’illégalité, en coopération avec les bureaux centraux nationaux (BCN) et d’autres parties prenantes concernées. Cela suppose de définir des volumes maximums de grumes à transporter, de restreindre les couloirs de transport de tous les bois issus de ces régions d’exploitation illégale et de surveiller l’évolution de la forêt à l’échelle régionale.
5) Encourager les enquêtes nationales sur la fraude fiscale en se concentrant en particulier sur le blanchiment dans les plantations et les scieries, les sous- ou surdéclarations de volumes, ainsi que la sous- ou la surfacturation, la fraude fiscale et la mauvaise utilisation des subventions publiques.
6) Réduire l’attrait des investissements dans les entreprises forestières opérant dans des régions identifiées comme des régions d’exploitation illégale en mettant en place un système international de notation Interpol des sociétés extrayant, opérant ou achetant dans des régions enregistrant un taux élevé d’activités illégales. Cela suppose d’enquêter sur la possible complicité des investisseurs dans le financement d’activités répréhensibles liées à l’exploitation, au transport, au blanchiment ou à l’achat de bois abattu illégalement.
7) Augmenter les ressources disponibles de l’ICCWC afin de le doter d’un rôle, d’unité(s) et d’une responsabilité ad hoc au niveau mondial et régional, selon le cas, afin qu’il soit spécifiquement chargé de lutter contre l’exploitation illégale et le commerce international de bois et de produits ligneux exploités ou obtenus illégalement.