Pour ouvrir le Château de Versailles au Monde, le Pavillon Dufour continue d’écrire l’empreinte historique
La future entrée principale, dessinée par Dominique Perrault, doit permettre d’ouvrir le Château de Versailles au Monde et donc au plus grand nombre.
Porte d’accès au Châteu à partir de mars 2015, le Pavillon Dufour, baptisé du nom de l’architecte Alexandre Dufour (1760-1835) qui supervisa sa construction entre 1814 et 1829, constitue le dernier chantier d’envergure mené au château de Versailles, visant à symétriser la façade côté ville.
Le Pavillon Dufour occupe l’emplacement initial du pavillon de tête de l’aile sud brique et pierre édifiée en 1662 par l’architecte Louis Le Vau, en avant du petit château de Louis XIII, afin d’abriter les premières écuries du Roi Louis XIV, qui, prit de passion pour le château de son père, lançait les premiers aménagements destinés à des séjours prolongés. Surmontée d’un comble divisé en logements, l’aile des écuries bordait au sud l’avant-cour du Château et avait pour symétrique au nord l’aile des cuisines et des offices.
Avec la construction de « l’enveloppe » de Le Vau, les deux ailes des communs sont définitivement reliées et intégrées au Château en 1671. Ces dernières sont surélevées d’un étage couvert d’un toit terrasse, tandis que les pavillons du côté ville reçoivent une nouvelle façade composée d’un majestueux portique à colonnes toscanes, couronnées d’une balustrade et de statues. Entre les colonnes des portiques, une grille fut installée dans la continuité de celle fermant la cour Royale.
Au cours des années 1678-1679, le premier architecte du Roi, Jules Hardouin-Mansart fit ajouter un comble brisé couvert d’ardoises et orné de plombs dorés, ainsi qu’un lanternon au sommet des pavillons, afin d’harmoniser les deux ailes avec le style du château côté cour.
Crédit photographique : © Patrick Tourneboeuf/Tendance Floue/Oppic. Décembre 2013
Après le déménagement des écuries, le rez-de-chaussée de l’aile sud fut, pour les besoins officiels, divisé en plusieurs espaces, dont l’antichambre du Conseil privé, la Salle du Conseil privé, la Salle des Ambassadeurs et la Salle du Grand Maître de la Maison du Roi. À l’étage noble se trouvait de 1680 à 1690, l’appartement des Enfants de France, puis successivement au XVIIIe siècle celui du cardinal de Fleury, du duc d’Aumont ou encore le logement du duc et de la duchesse de Polignac.
Dès 1760, sous l’autorité de l’architecte Ange-Jacques Gabriel, naquit le dessein du « grand projet » visant la mise en accord des façades du château côté ville. L’exécution du « grand projet » débuta en 1771, avec la destruction de l’ancienne aile nord des communs dénommée « Aile du Gouvernement », dont le portique menaçait ruine, et l’édification à la place d’un nouveau bâtiment d’une belle et noble architecture classique, l’actuelle « Aile Gabriel ».
La mort de Louis XV, les problèmes de créance, suivis de la défection du pouvoir royal, mirent en suspens le projet de reconstruction et laissèrent en cette fin d’Ancien Régime deux ailes symétriques au château de Versailles côté ville.
C’est pour corriger cette regrettable dissonance que Napoléon décida en 1810 de reconstruire l’aile sud, dénommée « Aile Vieille ». L’Empereur confia l’entreprise à l’architecte Alexandre Dufour. Ce n’est toutefois qu’à la chute de l’Empire, en 1814, que démarrent les travaux. Seul l’ancien pavillon à portique est démoli pour être reconstruit d’après les relevés du pavillon Gabriel en vis-à-vis. La vieille aile brique et pierre est quant à elle restaurée. Sous le règne de Louis-Philippe, l’architecte Frédéric Nepveu y aménagea au premier étage, entre 1833-1842, des salles pour présenter les gouaches du musée de l’histoire de France.
À la fin du XIXe siècle, l’état de délabrement de la Vieille Aile nécessita une reconstruction et un redressement de la façade sur la cour Royale, avec une reprise des fondations. Les travaux furent dirigés par l’Architecte Marcel Lambert. Entre 1921 et 1923, son successeur Benjamin Chaussemiche entreprit une importante consolidation de la Vieille Aile par le béton armé, tandis que la moitié droite de la façade du côté de la cour des Princes était reconstruite.
En 1954, l’architecte Marc Saltet intervint sur la toiture du pavillon Dufour en y installant une verrière devant assurer l’éclairage zénithal du nouvel atelier de restauration de tableaux. Par la suite, la « Loi-Programme » votée en 1978 permit, sous la direction de l’architecte Jean Dumont, le réaménagement intérieur du pavillon et de la Vieille Aile occupés par la conservation du musée et un auditorium. Enfin, les derniers travaux furent dirigés par Frédéric Didier, architecte en chef du château, en 1996, et concernèrent la création de bureaux dans les combles de la Vieille Aile, afin d’accueillir les services de l’Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles, jusqu’à leur déménagement en février 2013.
Véritable projet patrimonial : Dès sa conception, le schéma directeur du château de Versailles, dans son volet d’amélioration de l’accueil du public, prévoyait de restructurer la Vieille Aile et le pavillon Dufour pour les consacrer entièrement à l’accueil du public individuel.
Ce parti s’est rapidement imposé comme répondant de façon incontournable aux besoins tant du point de vue historique et patrimonial que fonctionnel.
Les deux pavillons à colonnes, Gabriel au nord et Dufour au sud, encadrant la cour Royale, constituent en effet un signal architectural évident dans la composition monumentale car leur ordonnance nouvelle a été conçue, à la fin du XVIIIe siècle, pour servir aux entrées publiques du château.
L’inachèvement du projet, le détournement de leur fonction à des fins de service et de logement ont pendant plus de deux siècles occulté cette intelligence qui se révèle aujourd’hui à la faveur de la mise à exécution progressive des travaux du schéma directeur.
Car le chantier en cours, mené en collaboration avec Dominique Perrault, est l’aboutissement d’un long et complexe processus qui a nécessité de tenir pendant près de deux décennies un cap volontaire, dans une perspective à long terme.
L’ambitieux projet conçu par Dominique Perrault s’inscrit donc dans une dynamique plus large, dont il constitue en quelque sorte « la partie émergée de l’iceberg ».
Il se coule au sein du patrimoine qui a été dûment reconnu et analysé, afin de préserver avec le maximum de soin les traces du passé, voire de les révéler.
Drastiquement rénovée à la fin du XIXe et au XXe siècles, la Vieille Aile se prêtait plus que tout autre endroit du Château à une reconversion prenant en compte largement de nouvelles fonctionnalités, car son potentiel archéologique était très amoindri, même si l’apparence extérieure n’en laissait rien voir...
Cependant, au-delà des espaces de créativité qu’a su investir Dominique Perrault, ce nouvel équipement conserve toute la mémoire du passé, mieux il la révèle partout où elle était défigurée ou occultée. Ainsi les beaux vestibules de pierre du pavillon Dufour qui seront dégagés offrant un digne pendant à ceux du pavillon Gabriel, les exèdres de la salle du Conseil ou les sous-sols voûtés de la cour des Princes, dépendances des cuisines royales naguère inaccessibles.
À l’extérieur, la restauration des couvertures sur la cour Royale avec leur décor de plomb doré parachèvera la grande scénographie du pouvoir voulue par Louis XIV, tandis que la façade sur la cour des Princes enfin réhabilitée selon son état primitif témoignera de la polychromie des matériaux mis en scène par Le Vau et Mansart.
Projet à la fois ambitieux et modeste, l’aménagement du nouvel accueil du public au sein de la Vieille Aile et du Pavillon Dufour sera, nous l’espérons, une réalisation pertinente qui saura s’inscrire dans la durée, au service d’un monument magnifique que nous sommes appelés à partager avec un public toujours plus avide de beauté et de rêve.
Réflexion de Dominique Perrault sur ce vaste projet de réaménagement du Pavillon :
« Si le pavillon Dufour apparaît tardivement dans l’histoire du château de Versailles - près d’un siècle et demi après que Louis XIV et sa cour ont quitté le Palais-Royal pour faire de Versailles le siège de la monarchie -, son histoire illustre les campagnes de travaux successives ayant transformé le modeste pavillon de chasse de Louis XIII en l’un des trésors les plus précieux du patrimoine national. De la résidence d’agrément, où le Roi Soleil venait prendre le divertissement de la chasse, au monument le plus emblématique du classicisme français, Versailles aura été un chantier permanent.
Lorsqu’est construit le pavillon Dufour, le château n’est plus la résidence des monarques mais pas encore le grand musée national de l’histoire de France porté par Louis-Philippe. Fraîchement restaurée, la monarchie entreprend la reprise du projet inachevé de Louis XV de transformer la façade ville du château en installant aux avant-postes de la cour Royale le pendant du pavillon Gabriel parachevant ainsi la composition symétrique générale du Château. Cependant, faute de crédits, la partie arrière du pavillon Dufour ne fut jamais terminée. »
Depuis 2003, l’établissement public s’est engagé dans le plus important chantier que l’ancien domaine royal ait connu depuis Louis-Philippe, visant la restauration du monument historique et de ses décors, la mise en sécurité de l’ensemble du site ainsi que la simplification des accès au château, dans l’esprit du projet inachevé de Gabriel, via les deux pavillons d’entrée. Lauréate du concours d’architecture lancé en 2011 pour concevoir et réaliser l’accueil des visiteurs dans le pavillon Dufour, notre proposition consiste à aménager une entrée royale, à repenser la séquence inaugurale du Château en conservant strictement la physionomie c’est-à-dire la volumétrie, les proportions et les dimensions du pavillon Dufour bien sûr, mais également de la Vieille Aile.
Condamnée par les projets successifs d’anoblissement de la façade ville du Château, la Vieille Aile doit son salut aux contingences de l’histoire. Miraculeusement graciée, elle constitue un témoignage précieux des différentes étapes ayant conduit à la composition que l’on connaît, installant entre la cour Royale et la cour des Princes une irrégularité sympathique. »
« J’ai souhaité conserver cette aspérité, ne participer ni au lissage de l’histoire en en comblant les vides, ni à sa théâtralisation en doublant la façade de la Vieille Aile sur la cour des Princes, comme cela était suggéré dans les documents de concours. Au contraire, nous avons mobilisé cette dissymétrie au service du projet, lui trouvant une place dans le nouveau dispositif de visite du Château.
Une fois ces considérations patrimoniales énoncées, l’enjeu fondamental et premier est celui de la gestion des flux. Comment aménager au sein d’un pavillon à la géométrie contrainte les conditions optimales d’accueil pour près de 6 millions de visiteurs annuels, de tous horizons et évoluant à des vitesses différentes?
À la base du projet, il y a la volonté d’inscrire l’expérience des visiteurs dans une marche en avant, dans un mouvement continu depuis la place d’Armes sur laquelle veille Louis XIV du haut de son cheval, jusqu’à l’intimité des appartements royaux. Les visiteurs vont franchir une succession de lieux, comme autant d’étapes avant d’accéder aux grandioses galeries, et découvrir la quintessence du patrimoine de la France. Une procession qui débute en franchissant la grille d’honneur, en foulant les pavés de la cour jusqu’à l’Aile sud des Ministres où se trouve la billetterie, puis en pénétrant dans le pavillon Dufour avant de ressortir, après le contrôle de sécurité, la récupération des audioguides et les éventuels arrêts aux vestiaires / commodités, dans la cour Royale.
À mesure que les visiteurs se rapprochent de la cour de Marbre, qu’ils s’enfoncent dans l’intimité de la monarchie, la marche ralentit, l’évolution se fait plus lente. En franchissant le pavillon de tête, sorte de narthex ouvrant sur le grand espace libre et décloisonné de la Vieille Aile, la densité du flux augmente autant que la densité des regards.
Afin d’éviter les congestions et de limiter le sentiment d’attente, deux files prolongent les deux travées d’entrée du pavillon et mènent les visiteurs à un unique comptoir déporté le long de la cour des Princes, où les visiteurs récupèrent les audioguides. Ouvrant à gauche sur la cour des Princes et l’Aile du Midi, à droite sur la cour Royale et l’Aile Gabriel, la Vieille Aile constitue l’antichambre de la visite.
La volonté de libérer intégralement le plan au niveau de la cour afin d’assurer la lisibilité du circuit de visite complexifie encore l’équation de projet, les surfaces disponibles restantes ne permettant pas de recevoir l’ensemble des fonctions nécessaires à l’accueil du public. Accessibles hors douane depuis la façade sud du pavillon Dufour, le salon de thé et l’auditorium prennent respectivement et assez naturellement place aux premier et deuxième étages. »
« Toutefois, comment dégager l’espace nécessaire aux vestiaires, consignes, sanitaires... tout en permettant aux visiteurs qui terminent leur périple de récupérer leurs effets personnels et de quitter le château sans perturber le flux entrant ?
La solution est venue en investiguant le sous-sol, en regardant sous la Vieille Aile bien sûr, mais également sous la cour des Princes. La différence de niveau entre les ailes et le corps central du Château mais également la topographie en pente douce ascendante de la cour d’Honneur suscitent naturellement une curiosité d’archéologue. Nous avons alors exploité la présence de volumes sous la cour et au niveau -1 de la Vieille Aile pour créer et unifier un niveau souterrain, connecté de plain- pied au rez-de-chaussée de l’Aile du Midi, point final du circuit de visite.
Depuis le niveau cour, deux nouveaux escaliers relient le niveau créé en sous-sol. L’escalier Chambord, à l’extrémité ouest de la grande galerie, permet au public de descendre au rez-de-chaussée afin d’y trouver tous les commodités préalables à la visite (vestiaires, consignes, toilettes). Un grand escalier de pierre, à l’air libre, longeant la façade de la Vieille Aile, relie le volume souterrain à la cour des Princes. Un volume de verre formant rambarde accompagne l’escalier sur toute sa longueur et s’enfonce dans le sol pour introduire une lumière précieuse, chauffée par les feuilles de métal anodisé qu’il renferme. Aligné sur la façade sud du pavillon Dufour, cet instrument d’optique sort de terre là où précisément aurait dû être édifié, près de 200 ans plus tôt, le pendant de l’Aile Gabriel, selon le plan de composition générale de la façade ville du château.
L’histoire aurait été trop facile. Trop lisse.
La dichotomie courante qui oppose au patrimoine le monde contemporain masque la douceur et la bienveillance de l’architecture d’aujourd’hui vis-à-vis de son aînée, l’affection partagée de l’espace et de la matière. Avec Gaëlle Lauriot-Prévost, nous avons conduit pour les aménagements intérieurs du nouveau pavillon d’entrée un travail sensible, complice et aimant à l’égard du patrimoine de France. Lustreries, tapisseries et métalleries contemporaines, dessinées par variation, déclinaison, géométrisation et abstraction à partir de certains détails tirés des représentations célèbres qui nourrissent l’imaginaire du château de Versailles, meubleront le futur pavillon Dufour.
L’histoire du château de Versailles continue de s’écrire au gré de ses chantiers, de ses travaux, poursuivant près de deux siècles plus tard « le premier des grands chantiers culturels de la France contemporaine », dédié, comme le rappellent les pavillons d’entrée « À toutes les gloires de la France », et résumé de la plus belle des façons par Victor Hugo à l’occasion de l’inauguration du Musée de l’histoire de France : « Ce que le roi Louis-Philippe a fait à Versailles est bien. Avoir accompli cette œuvre, c'est avoir été grand comme roi et impartial comme philosophe ; c'est avoir fait un monument national d'un monument monarchique ; c'est avoir mis une idée immense dans un immense édifice ; c'est avoir installé le présent dans le passé, 1789 vis-à-vis de 1688, l'empereur chez le roi, Napoléon chez Louis XIV ; en un mot, c'est avoir donné à ce livre magnifique qu'on appelle l'histoire de France cette magnifique reliure qu'on appelle Versailles. » Dominique Perrault - Architecte du projet
Chronologie
1662
Construction par Le Vau de deux ailes symétriques au nord et au sud de l’avant-cour du château de Louis XIII.
1671
Les deux ailes sont reliées à « l’enveloppe » de Le Vau. Elles sont surélevées d’un étage et couvertes d’un toit terrasse. Les pavillons côté ville sont flanqués d’un portique.
1678-1680
Mansart remplace les toitures des deux ailes par des combles brisés et surmonte les pavillons d’un lanternon.
1771
L’aile nord est reconstruite selon les plans de Gabriel établis pour le « grand projet », lequel est rapidement interrompu. Non reconstruite, la Vieille Aile reste en dissonance avec la nouvelle Aile Gabriel en vis-à-vis.
1814-1829
Démolition du pavillon de tête à portique de la Vieille Aile et construction du Pavillon Dufour selon les plans et les élévations de Gabriel. La Vieille Aile est restaurée.
1888-1889
Sous la direction de Marcel Lambert, reconstruction et redressement de la façade de la Vieille Aile côté Cour Royale.
1921-1923
Benjamin Chaussemiche entreprend la consolidation de la Vieille Aile à l’aide de poteaux et de charpentes en béton armé.
1954-1955
Création par Marc Saltet d’une verrière au sommet du Pavillon Dufour pour éclairer le nouvel atelier de restauration.
1978-1981
Nouveaux aménagements intérieurs pour la conservation et leurs services, sous la direction de Jean Dumont.
1996
Sous la direction de Frédéric Didier, les combles de la Vieille Aile sont convertis en bureaux.