Pour la CGSP un seul objectif : réduction des émissions de gaz à effet de serre et revoir les mécanismes de soutien aux ENR
Le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP) a publié un rapport analysant la situation et les perspectives à moyen terme du marché européen de l’électricité. Le CGSP a sollicité l’expertise de trois économistes européens : Marc Oliver Bettzüge, professeur d’économie, directeur général de l’Institut de l’économie de l’énergie à l’université de Cologne ; Dieter Helm, professeur de politique énergétique à l’université d’Oxford ; et Fabien Roques, professeur à l’université Paris-Dauphine et vice-président à Compass Lexecon.
Deux préconisations majeures émanent du rapport, la réduction des émissions de gaz à effet de serre et de revoir en conséquence les mécanismes de soutien aux ENR.
Face aux tensions des modes de production énergétique dans le cadre du marché européen, notamment par celles des centrales thermiques, le rapport estime que le cadre réglementaire et la structure du marché créent un climat de profonde incertitude qui vient entraver les investissements et risque d’empêcher l’atteinte des objectifs à long terme de décarbonisation et de compétitivité de l’économie européenne. Ce rapport analyse les différents enjeux auxquels doivent faire face les marchés européens de l’électricité à la fois sur le court et sur le long terme, tout en indiquant certaines orientations possibles en vue d’une réforme.
Ainsi, le rapport donne sa vision notamment sur le court terme, et explique que le secteur de l’électricité fait face à la nécessité de rééquilibrer les marchés de l’électricité qui font face à une crise historique. La substitution de la production à partir de centrales thermiques par la production d’énergies renouvelables (ENR) – qui est soutenue par des politiques publiques spécifiques –, associée aux répercussions de la crise économique sur la demande en électricité, a conduit à une réduction considérable des facteurs de charge des centrales thermiques. Et estime par ailleurs, que les prix de l’électricité ont chuté à des niveaux qui ne reflètent plus les coûts complets de production mais plutôt une situation de surproduction temporaire ainsi que la pression à la baisse exercée sur les prix liée au développement des énergies renouvelables. Pour le CGSP, le problème principal provient du fait que les dispositions actuelles relatives au fonctionnement du marché et à la réglementation n’aboutiront vraisemblablement pas à un rééquilibrage de la situation de façon efficace sur le plan économique ; elles risquent en effet de conduire à des fermetures massives de centrales électriques thermiques, alors même que certaines de ces centrales seront nécessaires quand la demande repartira à la hausse, ce qui serait pourrait menacer la sécurité d’approvisionnement.
Le rapport observe que sur le long terme, décarboner le secteur européen de l’énergie d’ici 2050 nécessitera d’importants investissements, ce qui semble incompatible avec la situation financière des investisseurs historiques dans le secteur (les énergéticiens) et le climat de défiance envers le cadre réglementaire et les arrangements de marché actuels. De plus, le rapport estime que d’ici 2050, l’Europe va devoir investir entre 40 et 60 milliards d’euros par an dans la production d’électricité. La rentabilité du secteur a cependant fortement chuté au cours de ces dernières années. Par ailleurs, les énergéticiens européens connaissent une situation financière difficile, l’endettement net total des dix plus grands énergéticiens ayant quasiment doublé au cours des cinq dernières années pour atteindre près de 280 milliards d’euros.
Pour le CGSP, il est donc nécessaire de repenser la structure du marché et le cadre réglementaire afin de réduire les risques pour les investisseurs historiques, mais également afin d’attirer de nouvelles sources d’investissement telles que des fonds possédant un horizon de placement à long terme (fonds souverains ou fonds de pension). Les marchés européens de l’électricité rencontrent en effet deux types de difficultés qui sont étroitement liées entre elles. Les facteurs « extrinsèques » proviennent du manque de cohérence des politiques énergétiques et environnementales européennes qui entrave le fonctionnement des marchés de l’électricité européens. À cela s’ajoutent plusieurs facteurs dits « intrinsèques », qui sont liés à la conception actuelle des marchés de l’électricité et qui empêchent d’envoyer aux investisseurs et opérateurs les bons signaux-prix.
Ensuite le rapport rajoute qu'un marché de l’électricité mieux conçu et plus intégré offrirait des avantages considérables aux citoyens européens. Selon Booz & Company, les bénéfices de l’intégration par le couplage de marché, une fois celui-ci entièrement mis en œuvre dans l’ensemble de l’UE, seraient de l’ordre de 2,5 à 4 milliards d’euros par an, soit un gain annuel de 5 à 8 euros par habitant. Mais surtout, si elle n’agit pas rapidement, l’Europe risque de s’enfermer dans une voie inefficace de décarbonisation qui entraînerait une hausse des prix de l’énergie et pourrait à terme saper le soutien dans l’opinion publique pour le projet de décarbonisation de l’économie européenne.
Le rapport précisant que l’Europe de l’énergie repose sur deux piliers : d’une part, la création au début des années 90 d’un marché intérieur de l’électricité intégré et libéralisé qui devait permettre une baisse des prix pour les ménages et les entreprises ; et, d’autre part, le « paquet climat-énergie » qui posait fin 2008 des objectifs ambitieux en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre, d’efficacité énergétique et de développement des énergies renouvelables.
Pourtant, l’Europe de l’énergie est aujourd’hui en crise. Les objectifs de la politique énergétique et climatique européenne (sécurité d’approvisionnement, préservation du pouvoir d’achat et de la compétitivité, lutte contre les émissions de gaz à effet de serre) sont mis à mal par trois facteurs principaux :
La crise économique, qui a fait baisser la demande électrique bien en-deçà des prévisions, provoquant ainsi une situation de surcapacité ;
L’augmentation rapide de la part des énergies renouvelables variables (éolien et solaire photovoltaïque), subventionnées « hors marché » et bénéficiant d’un accès prioritaire sur le réseau électrique, dans un mix énergétique européen déjà en surcapacité ;
La révolution du gaz de schiste aux Etats-Unis qui remet le charbon au centre de la scène européenne.
En s’appuyant sur les contributions de Marc-Oliver Bettzüge, Dieter Helm et Fabien Roques, sans toutefois les engager, ce rapport du Commissariat général à la stratégie et à la prospective formule sept recommandations pour tendre vers un marché de l’électricité européen et un cadre politique durables :
Recommandation n° 1 : Considérer l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre comme le principal, sinon l’unique, objectif du prochain paquet climat-énergie en introduisant un objectif de réduction, lisible, stable et de long-terme, à l’horizon 2030.
Recommandation n°2 : Reconsidérer les politiques de soutien aux énergies renouvelables en remplaçant les tarifs d’achat pour les technologies qui ont atteint la maturité technologique par des mécanismes de type « marché + prime2 » et par des appels d’offres portant sur des quantités limitées, en soumettant les énergies renouvelables aux mêmes responsabilités que les énergies conventionnelles et en arrêtant enfin le paiement des tarifs d’achat lorsque les prix de gros sont négatifs ou lorsque les lignes sont saturées.
Recommandation n° 3 : Lancer des réformes structurelles du marché européen du carbone en introduisant des prix plancher et plafond afin de donner un signal-prix clair pour les investissements de long terme et en créant une banque centrale du carbone afin de disposer d’une certaine marge d’ajustement.
Recommandation n° 4 : Achever le marché européen de l’électricité en étendant le marché journalier (dayahead market) à d’autres pays européens, en améliorant le marché infra-journalier et en construisant, après une analyse coût-bénéfices, de nouvelles interconnections entre les États membres.
Recommandation n° 5 : Réaffirmer le rôle des États membres dans le choix de « la structure générale de leur approvisionnement énergétique » : conformément à ce principe, ils seraient ainsi responsables du design de leur mécanisme national de capacité dès lors qu’il respecte les (éventuelles) règles européennes encadrant ces mécanismes, mais ils devraient soumettre leur politique énergétique à des peer reviews européennes afin de permettre à chaque État membre de prendre connaissance du programme d’investissement et du design des mécanismes de capacité de leurs voisins.
Recommandation n° 6 : Renforcer les coopérations de recherche et développement entre États membres pour les technologies qui n’ont pas encore atteint une certaine maturité.
Recommandation n° 7 : Autoriser les contrats de long terme afin de favoriser les investissements de long terme dans une production à faibles émissions de carbone.
©CGSP
La crise du système électrique européen -Diagnostic et solutions