Les poissons d’eau douce contaminés aux microplastiques
Si l'expédition Tara Méditerranée a pu émettre ses premières conclusions consternantes notamment sur des fragments de plastique en Mer Méditerranée retrouvés à chaque relevé de filet, l’Institut National de l’Environnement Industriel et des Risques (INERIS) vient de mettre en évidence la contamination des poissons d’eau douce aux microplastiques.
C'est à l’occasion de la présentation de son rapport scientifique 2013-2014 que l’INERIS a publié les résultats d’une étude exploratoire sur la pollution des milieux aquatiques d’eau douce par les microplastiques. Cette étude met en évidence, pour la première fois, la contamination d’un poisson d’eau douce aux microplastiques.
La généralisation de l’usage des matières plastiques dans la deuxième moitié du XXème siècle a engendré une augmentation de la production mondiale, qui atteint 288 millions de tonnes en 2012. En conséquence, l’utilisation massive des plastiques a provoqué un accroissement de la présence de ce matériau dans l’environnement sous forme de macro comme de micro-déchets.
La contamination de l’environnement par les microplastiques, particules de taille inférieure à 5 mm, est déjà bien étudiée en milieu marin. Ces plastiques sont retrouvés dans les milieux océaniques et littoraux, mais aussi ingérés par les poissons et les mammifères marins. Peu de données sont en revanche disponibles sur la contamination des lacs et des cours d’eau par les microplastiques.
Dans une perspective de surveillance environnementale, les équipes de l’INERIS ont mené pendant deux ans une étude exploratoire sur la présence des microplastiques chez le poisson d’eau douce. L’espèce « sentinelle » choisie est le goujon, poisson très répandu dans les cours d’eau européens. Réalisée en collaboration avec l’ONEMA, l’étude a porté sur 812 individus issus de 33 sites répartis sur plusieurs cours d’eau français.
Une analyse a été effectuée en laboratoire pour identifier la présence de microplastiques dans l’organisme des poissons et estimer le degré de contamination global de l’échantillon. A cet effet, les équipes de l’INERIS ont développé une méthodologie spécifique pour mieux détecter les microplastiques, permettant la séparation et le marquage du contaminant lors de l’analyse du contenu de l’estomac des individus.
10% des goujons contaminés aux microplastiques
L’étude de l’Institut est la première à démontrer la présence de microplastiques chez un poisson d’eau douce. Les résultats montrent que 10% des goujons analysés sont contaminés par des microplastiques (microfibres, microbilles, fragments...). Ce taux de contamination est cohérent avec les résultats des études réalisées en milieu marin.
D’autres études ayant mis en évidence la présence de microplastiques dans l’eau ou les sédiments n’ont pourtant pas observé de contamination chez certaines espèces de poisson. Une hypothèse d’explication repose sur le comportement du goujon, qui pourrait être plus exposé aux microplastiques : il se nourrit en fouillant le sable et les graviers au fond du cours d’eau.
La présence de microplastiques dans l’organisme des poissons pose la question de leurs effets sur les espèces aquatiques. L’INERIS, qui mène des travaux sur l’impact des perturbateurs endocriniens (PE) sur les milieux aquatiques, a abordé la question des effets PE des microplastiques en prolongement de son étude. La relation entre la contamination des organismes et la présence d’individus intersexués au sein des populations de l’échantillon a été analysée. En conditions environnementales réelles, on constate pour l’heure une absence de lien entre la contamination aux microplastiques et d’éventuels effets PE : des travaux complémentaires seraient nécessaires pour confirmer l’hypothèse d’un lien.
L’impact des microplastiques sur les milieux aquatiques d’eau douce : que sait-on ?
Les propriétés physiques et le faible coût des plastiques ont permis la généralisation de leur usage dans la deuxième moitié du XXème siècle. La production mondiale de plastiques est passée de 1,5 million de tonnes en 1950 à 288 millions de tonnes en 2012. L’Europe est le deuxième producteur de plastiques au monde derrière la Chine, avec un peu plus de 20% de la production (Source : Plastic Europe).
Corollaire de ce développement, on compte dans l’Union Européenne en 2012 25 millions de tonnes de déchets plastiques, dont plus de 9 millions ne sont ni recyclables, ni valorisables en énergie. Si la logique d’économie circulaire travaille à « refermer le cycle de vie des produits » et réduire ainsi leur impact environnemental, la contamination des milieux naturels par les plastiques sous forme de macro comme de micro-déchets est aujourd’hui un constat partagé.
Les plastiques, une priorité dans la lutte contre les pollutions marines
La contamination de l’environnement et des espèces sauvages par des débris plastiques de taille variable a d’abord été décrite en milieu marin. Ces plastiques sont retrouvés chez les poissons, les mammifères marins, les oiseaux de mer ; les travaux de recherche répertorient la présence des plastiques tout autour du globe, avec une répartition conforme à la circulation des courants océaniques de surface. De récentes études ont pointé la présence croissante en milieux océaniques et littoraux de microplastiques, particules de taille inférieure à 5 mm.
Il est par ailleurs démontré que l’ingestion de plastique peut avoir un effet nocif sur les organismes aquatiques, que cet effet soit dû aux caractéristiques physiques des particules plastiques, aux molécules chimiques qui les composent ou encore aux substances toxiques venues se fixer sur ces particules plastiques.
Peu de données sur la présence de microplastiques dans les eaux douces
Peu de données sont en revanche disponibles sur la contamination des milieux continentaux d’eau douce par les microplastiques. Les premières études ont mis en évidence la présence de microplastiques dans les eaux de surface et dans les sédiments de certains écosystèmes lentiques, comme le lac de Garde en Italie, le lac de Genève en Suisse ou même le lac Hovsgol en Mongolie. De même, la contamination de sédiments a été observée dans des écosystèmes lotiques comme le fleuve Saint Laurent au Canada.
La présence de microplastiques sur l’ensemble du réseau trophique commence à être étudiée. Les effets des microplastiques sur les organismes aquatiques d’eau douce sont également inconnus en conditions réelles : des bioessais d’écotoxicité réalisés en laboratoire ont cependant souligné récemment leur impact sur la croissance de certaines algues et sur la mortalité et la reproduction de micro-crustacés (daphnies).
Une étude exploratoire en surveillance environnementale
Les équipes de l’INERIS ont mené sur deux ans une étude exploratoire sur la présence des microplastiques dans les écosystèmes d’eau douce. Elles ont choisi d’étudier, dans les écosystèmes lotiques, une famille d’espèces animales pour laquelle aucune donnée n’était encore disponible : le poisson.
Dans une logique de surveillance environnementale, l’Institut a souhaité acquérir des données sur le niveau de contamination, en conditions réelles, de poissons d’eau douce par les microplastiques. Evaluée sur une espèce de poisson représentative des écosystèmes étudiés, cette contamination peut en effet constituer un indicateur de la qualité des milieux aquatiques.
Les poissons d’eau douce peuvent être contaminés par les microplastiques
Dans le cadre de son étude exploratoire, l’Institut a sélectionné comme espèce « sentinelle » de la contamination aux microplastiques un poisson de la famille des cyprinidés, le goujon (Gobio gobio).
Cette espèce est largement utilisée en écotoxicologie, car elle est très répandue dans les cours d’eau européens ; sédentaire, le goujon accomplit tout son cycle de vie en eau douce. C’est un poisson qui vit sur le substrat sableux ou graveleux des fonds de rivières (espèce dite « benthique »).
Une méthode spécifique de détection des microplastiques
L’étude a pu exploiter le fruit de deux campagnes d’échantillonnage organisées dans le cadre d’une étude plus large sur l’intersexualité des espèces piscicoles : ces campagnes ont été réalisées en 2012 et 2013 en collaboration avec les équipes de l’ONEMA. L’étude a porté, au total, sur 812 individus mâles et femelles issus de 33 sites répartis sur plusieurs cours d’eau français.
Une analyse a ensuite été effectuée en laboratoire, afin d’identifier la présence de microplastiques dans l’organisme des poissons et d’estimer le degré de contamination global de l’échantillon.
A cet effet, les équipes de l’INERIS ont développé une méthodologie spécifique pour la détection des microplastiques chez le poisson. Dans un premier temps, le contenu de l’estomac des individus a été observé avec une loupe binoculaire.
Un protocole en deux étapes a ensuite été développé afin d’améliorer l’identification: grâce à ce protocole, les particules microplastiques restent intactes et elles sont isolées de la matière organique présente dans le système digestif. Cela permet notamment la détection des microbilles, impossible à réaliser en observation directe à la loupe.
10% de l’échantillon est contaminé aux microplastiques
L’étude a montré que 10% des goujons analysés étaient contaminés par des microplastiques de nature diverse. Ce taux de contamination est cohérent avec les résultats des études réalisées en milieu marin, qui signalent des niveaux de contamination allant de 2 à 40% selon les espèces.
Ces résultats sont les premiers à démontrer la présence de microplastiques chez un poisson d’eau douce. D’autres études ayant mis en évidence la présence de microplastiques dans le milieu (eau ou sédiment) n’ont pas observé de contamination chez certaines espèces piscicoles (brème, gardon, brochet...).
Une hypothèse d’explication repose sur le comportement du goujon, qui pourrait être plus exposé à l’ingestion de microplastiques : il se nourrit non pas dans la colonne d’eau mais en fouillant le sable et les graviers au fond du cours d’eau.
Afin d’avoir une appréciation plus fine de la contamination globale des écosystèmes, la question des microplastiques mériterait un approfondissement, avec le développement, au sein de la communauté scientifique, de travaux de surveillance environnementale sur des espèces différentes de poissons (notamment des espèces dites « pélagiques », vivant près de la surface de l’eau) et sur d’autres types d’organismes aquatiques, à divers niveaux du réseau trophique.
Des effets PE non confirmés en conditions environnementales
La présence de microplastiques dans l’organisme des poissons pose la question de leurs effets sur les espèces aquatiques. Les plastiques sont une source de polluants organiques, dont certains peuvent avoir un effet perturbateur endocrinien (PE). L’effet PE des microplastiques issus de la pollution marine a, par exemple, été récemment observé en laboratoire sur une espèce de poisson amphidrome1 d’Asie du Sud Est, le médaka.
L’INERIS, qui mène des travaux sur l’impact des perturbateurs endocriniens sur les milieux aquatiques, a abordé la question des effets PE des microplastiques en prolongement de son étude. Les travaux ont consisté à étudier la relation entre la contamination des organismes et la présence d’individus intersexués au sein des populations de poisson constituant l’échantillon.
Parmi les 812 poissons étudiés, 48 individus intersexués ont été dénombrés : un seul était contaminé aux microplastiques. A ce stade, en conditions réelles, on constate donc une absence de lien entre la contamination aux microplastiques et d’éventuels effets PE : des travaux complémentaires seraient nécessaires pour confirmer l’hypothèse d’un effet PE des microplastiques sur les poissons d’eau douce.
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