QUAND LE THON NOUS MET EN BOÎTE - FRANCE 5 LE 30/11 20H40
Le Doc du dimanche répond, tous les dimanches soir à 20h40, en 52 minutes, aux questions que les téléspectateurs se posent sur des sujets qui les concernent de près ou leur font découvrir une face cachée de notre société.
Le Doc du dimanche s’intéresse cette semaine à un produit acheté par 90% des ménages : le thon en conserve.
Les français mangent chaque année près de 70 000 tonnes de thon en boîte. Riches en protéines, très économiques, les conserves ont permis de démocratiser largement la consommation de ce poisson en France. Mais sait-on vraiment ce qui se cache dans cette petite boite si familière?
Qui sait par exemple que plus de la moitié des conserves que nous consommons contient de la bonite à ventre rayée, un poisson très courant dans les mers chaudes, surnommé "le poulet des mers"? Qui sait encore que Petit Navire, la marque leader du marché, n'est plus bretonne depuis longtemps, mais appartient aujourd'hui à un groupe thaïlandais?
La majorité du thon que nous achetons est aujourd'hui pêchée très loin de la France et parcourt des milliers de kilomètres avant d'arriver dans nos assiettes. En Côte d'Ivoire, aux Seychelles, au Ghana, ou en Thaïlande, dans d'immenses usines, des milliers d’ouvriers s'activent jour et nuit afin que nous puissions acheter du poisson bon marché. Aux Seychelles, l’une de ces usines a ouvert ses portes, afin de montrer comment le thon est réellement mis en boîte.
Pour alimenter le marché mondial, près de 5 millions de tonnes de thon sont capturés chaque année. Une pêche "industrielle", accusée par certaines ONG de vider les océans. Dans leur viseur, des techniques de pêche de masse qui génèrent aussi des prises accessoires, comme les requins, les raies ou les tortues accentuant ainsi de manière dramatique l'effort de pêche sur une ressource à la limite de la surexploitation.
Les pêcheurs français réagissent.
Autre point noir : la pêche illégale. 15% du poisson que nous consommons serait capturé de manière frauduleuse. L'Europe doit aujourd'hui faire le gendarme pour assainir la filière. Comment s'y retrouver dans ce marché mondialisé? Toutes les espèces se valent- elles? Pouvons-nous encore manger du thon sans risque pour la planète ou pour notre santé ? Enquête de la mer à l'assiette.
Petit Navire, marque leader sur le marché français, est classée 8ème sur 10 dans l’étude sur les marques de thon en boîte de Greenpeace, notamment parce que l’écrasante majorité du thon que la marque commercialise est pêché avec une technique destructrice, le DCP. Au niveau mondial, la pêche thonière tropicale sur DCP génère 2 à 4 fois plus de rejets (raies, requins, tortues), que la même pêche sans DCP, sans compter les thons juvéniles. Cela équivaut à environ 100 000 tonnes par an, soit de quoi remplir 625 millions de boîte de thons ! Petit Navire, qui se targue de vouloir être leader de la durabilité dans son secteur, doit montrer l’exemple et s’aligner sur les deux marques sœurs qui appartiennent au même groupe, MW Brands : Mareblu, vendue en Italie et John West, vendu au Royaume Uni. Les deux marques se sont engagées à ne plus vendre de thons pêchés avec des DCP d’ici fin 2016. De nombreuses marques en Australie, Nouvelle- Zélande, au Canada et aux États Unis se sont déjà engagées dans cette voie.
« Des alternatives existent, comme la pêche à la canne ou encore la pêche à la senne, le grand filet utilisé par les thoniers, mais sans DCP » souligne Hélène Bourges. « Petit Navire dispose donc d’une réelle marge de manœuvre. »
Documentaire : Format 52’
Réalisé par
Frédérique Mergey
Une production
Pernel Media
Avec la participation de
France Télévisions
La surexploitation des stocks de thons :
La surcapacité des flottes thonières au niveau mondial est un fait. Deux tiers des stocks de thons sont victimes de la surpêche ou pêchés à la limite de durabilité biologique. Concernant les sept principales espèces de thon, on considère qu'un tiers des stocks sont surexploités.
Le stock de thons albacores de l'océan Atlantique par exemple est inférieur à la limite de durabilité et souffre clairement de la surpêche. Or la limite de durabilité ne doit pas être une fin en soi, mais un point de départ, la garantie que le stock soit plus élevé.
L'intensification de l'effort de pêche
D’après l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), les prises de thons tropicaux au niveau mondial ont été multipliées par 9 entre 1950 et 2012, passant de 0,4 million de tonnes à 4,5 millions, après une intensification de l’usage des DCP dans les années 1990.
Aujourd’hui, environ 40% des thons tropicaux dans le monde sont pêchés à la senne avec des DCP.
Les navires français dans tout ça ?
Le nombre de DCP dans l’océan est estimé à 91 000. La pêche au thon sur DCP permet de multiplier les prises par 2, voire par 10 pour certaines espèces.
Aujourd’hui, il n’y a pas de contrôle de l’usage des DCP. Les bateaux français pratiquant la pêche au thon peuvent avoir jusqu’à 150 DCP à bord. Ce chiffre peut atteindre plusieurs centaines lorsqu’il s’agit des bateaux espagnols. Ainsi, le nombre de DCP déployés par l’Espagne est estimé à 5 760 !
Qu'est-ce qu'un dispositif de concentration de poissons ?
Un dispositif de concentration de poissons (DCP) est un assemblage d’objets flottants se prolongeant sous l’eau par des chaînes ou filets. De nombreuses cavités se forment et permettent aux poissons de s’abriter, de se nourrir, de se reproduire. Les petits poissons trouvant refuge dans les DCP attirent de plus gros poissons, attirant eux-mêmes les thons qui s’en approchent en bancs pour se nourrir.
Une fois que la quantité de poissons piégés par le dispositif est jugée suffisante, les thoniers se rendent sur la zone, déploient un grand filet, la senne, autour du DCP et remontent tout ce qui se trouve autour.
La raréfaction des ressources halieutiques
Si on peut noter une amélioration des stocks dans l'Atlantique nord-est, il ne faut pas perdre de vue que celle-ci est tout relative, puisque cela ne vaut que sur un laps de temps très court. Lorsqu’on observe la tendance sur plusieurs décennies, les stocks ont sensiblement baissé. Une récente étude montre que les volumes des prises en Europe, dans les années 1950 et aujourd’hui, sont quasiment identiques. Or, les technologies utilisées par les thoniers senneurs se sont considérablement développées et ont renforcé la capacité de pêche. Dans l’Atlantique nord-est, 41% des stocks sont surexploités (Commission européenne juin 2014). En Méditerranée, on atteint les 91%.
La concurrence déloyale
Les grands thoniers senneurs pêchent tout, mêmes les poissons juvéniles.
Les petits pêcheurs locaux, quant à eux, ne vont viser que les gros poissons arrivés à maturité, grâce à des hameçons qui ne prennent pas les poissons juvéniles. Les poissons capturés par les immenses filets des thoniers senneurs arrivent sur les marchés et les petits pêcheurs artisans ne peuvent faire le poids face à cette offre industrielle.
Marché du thon au niveau mondial
Au niveau mondial, le marché du thon pèse un peu plus de 7 milliards d’euros. Les premiers consommateurs de thon en boîte sont les Américains, suivi des Britanniques. Il s’agit d’un business mondialisé à la tête duquel on retrouve quatre grands groupes : FCF (Taïwan), Itochu (Japon) , Tri-Marine (USA) et Thaï Union Frozen Product (Thaïlande).
Les deux marques françaises, Petit Navire et Saupiquet, appartiennent respectivement à Thaï Union et Tri Marine. Le thon voyage énormément entre le moment où il est pêché et sa vente en boîte. Il peut être pêché dans l’océan Atlantique en Afrique de l’Ouest par un bateau coréen, mis en conserve en Côte d’Ivoire, et vendu en France.
Les bateaux de pêche français ne vendent pas l’intégralité de leur pêche aux marques françaises. Ils contribuent à environ 20% de l'approvisionnement des boîtes que l’on retrouve dans les rayons français.
Marché du thon en France
En France, le marché du thon pèse près de 535 millions d’euro. En effet, 87% des familles françaises ont une boite de thon dans leur cuisine.
Chaque année, les ménages achètent près de 421 millions de boites de thon et chaque Français consomme en moyenne 2,7 kilos de thon par an.
Environ 80% des conserves consommées en France sont importées.
La Côte d’Ivoire (22% du total importé en 2012), les Seychelles (22%) et l’Espagne (17%) sont les principaux exportateurs.
©Greenpeace