Programme HyMeX, le climat du pourtour méditerranéen sous surveillance…
Septembre 1992 : des pluies torrentielles s’abattent sur la petite commune de Vaison-la-Romaine, dans le Vaucluse ; l’Ouvèze, la petite rivière qui traverse la ville, sort de son lit et tue 47 personnes. Novembre 2001 : sur les côtes algériennes, un épisode similaire coûte la vie à 800 personnes et provoque plus de 3 milliards d’euros de dégâts. Ces événements extrêmes, couramment appelés « épisodes cévenols », ne sont pas rares sur le pourtour méditerranéen.
Dans la revue de l’IGN Magazine, un article détaille le programme HyMeX (HYdrological Cycle in Mediterranean EXperiment) afin de mieux prévoir les événements climatiques extrêmes – pluies intenses, crues rapides, sécheresses – qui frappent régulièrement le pourtour méditerranéen. HyMeX rassemble depuis 2010 pas moins de 400 chercheurs d’une vingtaine de pays. Parmi les nombreux partenaires du projet, l’IGN est un contributeur actif, au travers de l’exploitation de données gps pour alimenter et valider les modèles de prévision météorologique et climatique.
Le projet international HyMeX(s’inscrit dans le programme interdisciplinaire Mistrals, dédié à la compréhension du fonctionnement du Bassin méditerranéen), initié en 2010 et coordonné par Météo France et le CNRS, s’est donné pour objectif de mieux les comprendre, pour mieux les anticiper. Le sujet est d’autant plus brûlant que la région est considérée par la communauté scientifique comme un « hot spot » du changement climatique : les vagues de chaleur et les sécheresses, tout comme la fréquence des épisodes hydrométéorologiques violents, pourraient y augmenter dans les prochaines décennies.
Pour décrypter le cycle de l’eau en Méditerranée, HyMeX s’intéresse à la fois à l’atmosphère, à la mer et aux surfaces continentales. Plusieurs disciplines sont concernées : sciences de l’atmosphère, océanographie, hydrologie continentale, sans oublier un volet sciences humaines et sociales, qui vise à analyser les réseaux d’alerte et la manière dont les habitants perçoivent ces situations de crise. Cinq groupes de travail ont ainsi été mis en place: bilan d’eau de la mer Méditerranée, hydrologie continentale et ressource en eau, précipitations intenses et inondations, interactions mer-atmosphère, impact sociétaux et économiques. Le projet s’appuie en outre sur trois dispositifs d’observations, aux échelles de temps complémentaires. Tout d’abord, une période d’observation à long terme (LOP), qui a commencé en 2010 et se poursuivra jusqu’en 2020.
Son objectif: expliqué par Véronique Ducrocq, chercheuse à Météo-France, l'objectif est d'étudier la variabilité interannuelle des phénomènes à l’échelle de l’ensemble du Bassin méditerranéen. Mais surtout de rassembler et de mettre à la disposition des chercheurs tout un ensemble de données issues de réseaux opérationnels et de recherche existants : stations météo terrestres et bouées ancrées, stations de mesure de débits, d’humidité des sols, mais aussi réseaux GPS opérés par l’IGN ou par ses homologues dans les autres pays participants. Toutes ces données alimentent au fur et à mesure la base de données HymeX et seront utilisées pour valider les modèles climatiques.
Deuxième dispositif : des périodes d’observations renforcées (EOP). Plus focalisées dans le temps et dans l’espace, elles s’intéressent à la variabilité saisonnière et annuelle des événements en renforçant par des mesures spécifiques les réseaux opérationnels existants. Depuis 2012 et jusqu’en 2015, des campagnes sont ainsi réalisées chaque automne dans le Gard et l’Ardèche afin de documenter les phénomènes de crues rapides qui affectent ces bassins durant cette saison. Une deuxième EOP est envisagée en Méditerranée orientale au-delà de 2015.
Enfin, dernier volet, et non des moindres: les périodes d’observations spéciales (SOP 1 et 2), deux campagnes d’observations intensives de quelques mois, pour l’étude détaillée des processus clés dans la formation des événements hydrométéorologiques intenses.
Entre le 5 septembre et le 6 novembre 2012, ce sont ainsi pas moins de 200 instruments de recherches spécifiques (radars, lidar, radio sondes...) qui ont été déployés sur terre ou embarqués à bord d’avions, de bateaux, de ballons dérivants lors de la première SOP... mobilisant plus de 300 chercheurs d’une dizaine de pays pour ausculter « de l’intérieur » les phénomènes de pluies intenses et de crues rapides qui balayent la Méditerranée nord-occidentale et son pourtour. Des relais durant les deux mois de campagnes, depuis le centre des opérations à La Grande-Motte, pour fournir une prévision des événements d’intérêt afin de programmer les vols et les lancements de ballons. Une vingtaine d’épisodes de pluie ont ainsi pu être documentés. La seconde campagne, baptisée SOP 2, s’est déroulée du 27 janvier au 15 mars 2013. Impliquant une soixantaine de chercheurs, essentiellement français, elle s’est pour sa part focalisée sur le phénomène de formation d’eau dense dans le golfe du Lion sous l’effet des vents régionaux comme le mistral ou la tramontane. Le refroidissement de la surface de l’eau par ces vents froids et secs venant de la terre en hiver provoque des mouvements de convection verticaux dans la mer qui impactent l’écosystème marin. Le dispositif expérimental déployé (glidder (Petits sous-marins autonomes utilisés pour mesurer les propriétés physicochimiques de l’océan), bouées dérivantes, sondes, radar de houle) visait à obtenir une description la plus détaillée possible des caractéristiques de la zone de formation d’eau dense et de ses échanges avec l’atmosphère.
Et l’IGN dans tout ça ? La contribution de l'IGN a porté sur l’exploitation des données fournies par les récepteurs GnSS (Global navigation Satellite System.) implantés dans la zone étudiée par HymeX, a expliqué Olivier Bock, responsable de l’équipe géodésie et atmosphère au sein du Laboratoire de recherche en géodésie (Lareg) de l’IGN, qui a également coordonné le groupe de travail consacré aux réseaux GNSS dans le cadre d’hyMeX. outre le positionnement précis d’un point à la surface du globe, le signal GPS utilisé en géodésie spatiale permet aussi de sonder la vapeur d’eau dans les basses couches de l’atmosphère situées au-dessus du récepteur. En effet, lorsque l’onde émise par le satellite se propage dans les couches basses de l’atmosphère, elle rencontre des molécules d’eau, qui la ralentissent. Ce retard de propagation, appelé retard troposphérique, donne des indications sur l’état de l’atmosphère, très utiles pour les météorologues.
Le service de géodésie et nivellement (SGN) de l’IGN, qui exploite le réseau permanent des stations GNSS en France – le fameux rGP (Le réseau GNSS permanent (rGP) compte environ 350 stations GNSS, réparties sur l’ensemble du territoire français. vingt-cinq sont la propriété de l’IGN, les autres appartiennent à des organismes privés oupublicsquiont un accord avec l’IGN pour la diffusion des données.) – produit ainsi depuis plusieurs années des modèles de retards troposphériques assimilés par Météo France dans ses systèmes de prévision numérique. Ces données ont aussi été assimilées par la version du modèle de prévisions météorologiques régional Arome de Météo France dédiée au projet HyMeX.
Au Lareg, l'IGN a par ailleurs mis au point un algorithme de calcul qui permet, à partir des retards troposphériques communiqués par le SGn, d’en déduire le contenu intégré de vapeur d’eau dans l’atmosphère en un lieu et à un instant donné. Cette information permet de documenter l’évolution de l’humidité dans l’atmosphère et de le comparer aux mesures obtenues par les radiosondes envoyées par météo France. Des mesures fournies pratiquement en temps réel (toutes les heures) au moment des alertes des phases SOP, et notamment la SOP 1 pendant laquelle, outre les stations du rGP, une dizaine de stations GNSS ont été spécifiquement déployées au nord de Montpellier et en Corse.
Aujourd’hui, l'IGN termine le retraitement des mesures de l’ensemble des stations GnSS de la zone étudiée lors des SoP 1 et 2 afin d’assimiler un jeu de données homogène dans la ré-analyse Arome effectuée par météo France. À ces données s’ajoutent celles recueillies en Espagne, au Portugal, en Italie et au Maghreb. Un travail effectué au Lareg, en collaboration avec les homologues espagnols et portugais de l’IGN et avec l’agence spatiale italienne.
L’heure est maintenant à l’exploitation de toutes ces données, ce qui prendra encore deux ou trois ans, a confié pour sa part Véronique Ducrocq. Les données ainsi assimilées dans les modèles de prévisions météorologiques régionaux, notamment le modèle Arome, serviront de référence pour valider et étalonner d’autres techniques d’observations, et évaluer les modèles climatiques, en vérifiant qu’ils sont capables de reproduire les événements observés pendant les campagnes. Par ailleurs, HymeX court jusqu’en 2020. Pour l’instant, des mesures intensives ont été collectées sur la partie occidentale. L'IGN envisage maintenant de renforcer le dispositif dans la partie orientale du bassin.
Le retard troposphérique, indicateur précieux de l’humidité dans l’atmosphère
Chaque satellite, équipé d’une horloge atomique d’une extrême précision, émet vers la Terre un signal indiquant son heure d’émission. Ces signaux sont captés par un récepteur au sol, qui mesure très précisément la distance le séparant de l’émetteur grâce au temps de parcours. Avec la réception des signaux de quatre satellites, le récepteur est capable de calculer par triangulation sa position exacte sur la surface du globe. Certains facteurs perturbent les résultats de ce calcul. L’un d’entre eux est la traversée des couches basses de l’atmosphère, la troposphère. La présence d’humidité et les modifications de pression modifient l’indice de réfraction et donc la vitesse et la direction de propagation du signal radio émis par le satellite, créant ce qu’on appelle un retard troposphérique . L’analyse de cette variable donne des informations sur la structure de l’atmosphère au-dessus du récepteur, et notamment son contenu en vapeur d’eau. Une donnée importante pour les météorologues.