Des paysages qui se dégradent, dans l'indifférence, malgré des enjeux nationaux majeurs
Un rapport du Conseil général de l’Environnement et du Développement durable (CGEDD) relevant d'une mission de conseil sur la politique nationale du paysage dont la commande a été passée par le vice-président en accord avec le directeur général de l'aménagement, du logement et de la nature, fait état de la dégradation des paysages quotidiens français, qui s’est accélérée au cours des soixante dernières années, pire il ne semble pas donner lieu à une réelle prise de conscience du phénomène en cours.
Et pourtant comme le souligne le rapport les paysages français représentent un capital exceptionnel par leur diversité et leur qualité et ils contribuent fortement à l'image de notre pays et à sa qualité de vie.
Le rapport, qui vient à la suite de celui d'Anne Fortier Kriegel de février 2011, a pour objet de mettre en évidence cette situation préoccupante et ses enjeux, d'en éclairer les raisons et de faire des propositions pour la politique nationale du paysage, associant les collectivités. Une attention plus particulière est portée sur l'action des services du ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, qui sont à la fois en charge de cette politique et d'un secteur important de l'aménagement des territoires.
Le rapport met en évidence les paysages qui se dégradent, le plus souvent dans l'indifférence, malgré des enjeux nationaux majeurs :
Ainsi, le rapport mentionne que les paysages français se transforment sous l'impulsion directe de l'économie, de la démographie, des capacités techniques nouvelles, bien souvent de façon « subie ». Si le domaine du péri-urbain et des entrées de ville est certainement celui dans lequel on observe le plus d'aménagements mal maîtrisés, d'autres secteurs sont également sensibles tels que les infrastructures linéaires, l'éolien ou certains espaces agricoles ou forestiers. Dans tous ces domaines, les pratiques prennent en réalité peu en compte le paysage ; lorsqu'il est examiné, il l'est souvent comme un volet séparé fort peu intégré au projet. Malgré cela, un certain nombre d'exemples d'aménagement réussis - qui placent le paysage au cœur des projets - ouvrent la voie d'évolutions réfléchies et « choisies ».
Les enjeux sociaux, culturels et économiques du paysage sont quant à eux considérables. La France est pourvue d'une richesse culturelle et naturelle inestimable en matière de paysages, biens communs à la fois aux niveaux national et local. Il est pour les populations un facteur essentiel d'identité, de bien-être et de lien social ; son rôle économique est majeur, notre pays détenant la première place au monde en matière touristique; il est déterminant dans l'attractivité des territoires, des villes et des quartiers, pour les populations et pour les activités. Le paysage qui nous entoure n'est pas indifférent, il est la signature directe de la société.
Le rapport du CGEDD observe que malgré cela, 20 ans après la loi Paysage de 1993, la question du paysage ne fait plus vraiment partie des sujets d'intérêt politique. Pour bien des acteurs de l'aménagement, le paysage est principalement perçu comme une contrainte plutôt que comme un atout à valoriser. La demande sociale de paysage et de cadre de vie est cependant bien présente : les Français restent sensibles au beau, même quand il s’agit de paysages ordinaires, et cette question semble avoir été occultée par bien des responsables publics. Réagir est aujourd'hui devenu indispensable.
La Biodiversité au cœur du paysage urbain ou rural, la problématique est-elle bien prise en compte ?
Le CGEDD évoque les raisons qui peuvent éclairer la situation.
Le rapport estime que le paysage est pour beaucoup une notion mal définie, associée à un sentiment de « subjectif » ; la méconnaissance de ce qui constitue réellement un paysage est l'un des tout premiers facteurs qui conduisent à le mettre de côté dans les aménagements. Défini dans la Convention européenne du paysage comme une « Partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations », le paysage est une réalité de fait, résultant à la fois de caractéristiques physiques et de leurs perceptions sociales. Contrairement aux idées répandues, ces deux composantes peuvent être clairement objectivées. Bien des décideurs publics, mais aussi des professionnels de l'aménagement - qui pour la plupart n'ont pas été formés à ces notions - rencontrent une difficulté d'approche pratique du paysage ; de plus, il n'est pas encore dans leur culture de faire appel aux spécialistes que sont les paysagistes.
D'autres raisons peuvent expliquer l'affaiblissement culturel à l'égard du paysage quotidien : une pensée technique et rationnelle dominante dans une société excluant fortement le champ du sensible et le non mesurable, des capacités techniques sans précédent et la primauté du quantitatif sur le qualitatif. A cela s’ajoutent une attention surtout focalisée sur la protection des paysages remarquables, l'absence de visions globales en matière d'organisation de l'espace et la logique du court terme, dans un pays où l’on n’est pas habitué à économiser l’espace...
Dans ce contexte, la politique nationale s'avère elle-même difficile à conduire sur le paysage du quotidien. Le droit national actuel est peu orienté vers des résultats effectifs. Les services nationaux et territoriaux en charge du paysage, malgré leurs efforts, ont été longtemps peu écoutés sur le sujet. Les deux enquêtes menées dans le cadre de cette mission, l'une auprès des DREAL et l'autre des DDT, ont confirmé le besoin des services d'être soutenus sur la question du paysage. La profession de paysagiste n'est pas encore bien reconnue ni développée, et un meilleur dialogue mérite d'être établi avec la recherche. Enfin, une impulsion nationale forte fait défaut depuis longtemps.
C’est donc dans ce contexte que le CGEDD a établi quelques propositions :
De vrais risques existent à continuer de négliger les paysages du quotidien. Paysage et cadre de vie appellent une politique nationale à réaffirmer et engager avec les collectivités, qui serait porteuse de sens et mobilisatrice pour les citoyens, y compris dans une période sensible sur le plan économique et social.
Le rapport invite à élaborer un « plan national pour le paysage » partagé avec les territoires. Un ensemble de propositions d'action sont formulées pour contribuer à ce travail, selon quatre axes stratégiques :
1 - Faire comprendre que le paysage est un outil au service de l'aménagement, avec un contenu objectif qui intègre les perceptions sociales Montrer que le paysage résulte de composantes physiques et de composantes culturelles qui s'analysent et s'objectivent clairement est un élément clé ; les choix d'aménagement peuvent ainsi être effectués de façon éclairée. Il convient aussi de promouvoir les outils et méthodes pratiques qui permettent d'objectiver le paysage et de l'utiliser pour composer le territoire et concevoir les aménagements.
2 - Développer une culture du paysage, notamment auprès des acteurs publics
Sensibiliser les responsables publics de l’État et des collectivités, former et sensibiliser les professionnels de l'aménagement (enseignements initial et continu), reconnaître les spécialistes du paysage (paysagistes-concepteurs) et faire appel à leurs compétences beaucoup plus régulièrement, sensibiliser la société civile (enseignements scolaire et universitaire, public).... Différentes évolutions, notamment d'organisation et de méthodes de travail sont également à conduire dans les services de l’État et des collectivités territoriales.
3 - Mieux composer avec le paysage dans la planification spatiale et dans les projets d’aménagement opérationnel Des évolutions sont à mener dans plusieurs secteurs particulièrement sensibles : urbanisme, construction, architecture et permis de construire (le paysage comme outil dans la planification, intervention des spécialistes du paysage, formulation d'objectifs de qualité paysagère, expérimentation dans l'ensemble des parcs naturels régionaux, requalifications...), développement de l'éolien (prendre en compte les paysages non protégés et les perceptions sociales du paysage...), projets, plans et programmes soumis à étude d'impact (renforcer les exigences en matière d'étude et de prise en compte argumentée du paysage...) et espaces agricoles, forestiers et naturels.
4 - Réaffirmer la place du paysage parmi les grandes politiques nationales
L’ensemble des actions à conduire pour le paysage nécessite de redonner une impulsion politique nationale forte, qui replace le paysage parmi les grandes politiques et positionne les collectivités comme parties prenantes. Une juste place mérite d'être réservée au paysage dans le code de l'environnement et il est souhaitable de recréer une gouvernance nationale active du paysage. Il est proposé que soit élaboré un plan national du paysage, de façon largement concertée et pour lequel le présent rapport constituerait un support de travail.
En conclusion, il s'agirait de faire en sorte que, de mieux en mieux, un sens réfléchi soit donné aux aménagements, qui prenne en considération - au-delà des besoins économiques et sociaux quantitatifs immédiats - les singularités des lieux et les perceptions sociales du paysage.
Une politique nationale du paysage réaffirmée est à même d'être très positivement perçue par les populations. Elle ne nécessite pas de moyens importants ni d'évolutions réglementaires significatives et elle peut être mise en œuvre rapidement. L'adoption du volet paysage du projet de loi biodiversité prévue cette année 2014 est une occasion pour concrétiser une ambition politique nouvelle pour le paysage et engager l'élaboration concertée du plan national du paysage.
L'enjeu des paysages français, qui touche l'image même du pays et celle de notre société, justifie cette nouvelle mobilisation nationale. Le paysage est une réalité éminemment moderne qui mérite de faire partie des domaines retenus pour renouveler les politiques publiques. C'est aussi un enjeu d'avenir symbolique pour le ministère chargé d'animer la transition du pays vers le développement durable, car il fait appel à la mise en œuvre de valeurs à la fois économiques, culturelles, sociales et environnementales.