FRANK GEHRY-PREMIÈRE GRANDE RÉTROSPECTIVE EN EUROPE AU CENTRE POMPIDOU
DU 8 OCTOBRE 2014 AU 26 JANVIER 2015
GALERIE SUD, NIVEAU 1
Pour la première fois en Europe, le Centre Pompidou présente une rétrospective complète de l’œuvre de Frank Gehry, l’une des figures majeures de l’architecture contemporaine.
Mondialement reconnu pour des bâtiments dont nombre ont aujourd’hui valeur d’icône, les créations emblématiques de Frank Gehry ont révolutionné l’esthétique de l’architecture, son rôle social et culturel et son inscription dans la ville.
C’est à Los Angeles que Frank Gehry initie sa pratique. Il côtoie, dès les années soixante, la scène artistique californienne proche d’artistes tels que Ed Ruscha, Richard Serra, Claes Oldenburg, Larry Bell, Ron Davis... La rencontre avec les œuvres de Robert Rauschenberg et de Jasper Johns, ouvre la voie à la reconfiguration de sa pratique architecturale.
L’extension de sa propre maison à Santa Monica en constitue un manifeste mondialement connu. Le langage de Frank Gehry repose alors sur une interrogation des moyens d’expression de l’architecture, sur un renouvellement de ses méthodes de conception et de ses matériaux comme, par exemple, l’introduction de l’usage des matériaux pauvres tels que le carton, la tôle et les grillages industriels.
Alors que triomphent les postmodernismes, Frank Gehry, au contraire, s’en libère. Il s’en explique dans un dialogue resté célèbre avec le cinéaste Sydney Pollack qui réalise un film biographique « Esquisses » en 2005 (montré dans le parcours de l’exposition). Comment humaniser l’architecture ? Comment retrouver un second souffle après la première crise industrielle ? Ces questions traversent l’œuvre de Frank Gehry tant dans son architecture, que dans la vision urbaine qu’elle porte.
Frank Gehry est, en effet, tout autant un grand architecte qu’un grand urbaniste. Le musée Guggenheim, à Bilbao est un des exemples les plus flamboyants, érigé en emblème d’une capacité de l’architecture à réactiver le tissu économique d’un territoire.
Après une première présentation de l’œuvre de Frank Gehry au Centre Pompidou en 1992, cette rétrospective offre une lecture globale de son travail. Elle s’attache à décrire l’évolution du langage plastique et architectural de l’architecte américain tout au long des différentes périodes qui jalonnent son parcours, des années 1960 à aujourd’hui, à travers une soixantaine de ses grands projets : le Vitra Design museum en Allemagne (1989), Guggenheim à Bilbao (1997), le Concert hall pour Walt Disney (2003), Beekman Tower à New York (2011)... Jamais jusqu’à lors, une exposition n’avait réuni un si grand nombre de projets - 225 dessins, 67 maquettes et des documents audiovisuels - , pour relire et restituer cette écriture architecturale singulière. Le dispositif scénique de l’exposition, réalisé en étroite collaboration avec Frank Gehry Partners, révèle deux aspects qui traversent son œuvre : urbanisme et mise en place de nouvelles procédures de conception et de fabrication numériques.
L’exposition ouvrira alors que Frank Gehry multiplie les projets en France. Après avoir construit l’American Center dans les années 1990, deux projets majeurs relancent sa présence. Il y a quelques mois, était posée la première pierre de la Fondation Luma à Arles. A la fin du mois d’octobre sera inaugurée sa dernière œuvre magistrale, la Fondation Louis Vuitton, à Paris.
Pour accompagner l’exposition, les Éditions du Centre Pompidou publient un catalogue exhaustif, premier ouvrage de référence en langue française, sous la direction de Frédéric Migayrou et d’Aurélien Lemonier, commissaires de l’exposition. Cet ouvrage de 260 pages et de 600 illustrations, comprend un entretien exclusif avec Frank Gehry, des textes d’historiens d’art et de critiques d’architecture - Marie-Ange Brayer, Gwenaël Delhumeau, Eliza Culea et Andrew Witt - et présente les 60 projets ou réalisations les plus spectaculaires, sous forme d’esquisses, de dessins, de plans, d’élévations et de photographies. Il ambitionne de devenir l’ouvrage de référence en langue française sur cet architecte.
Photo : Frank Gehry Photo : Philippe Migeat, Centre Pompidou
PARCOURS DE L’EXPOSITION
L’exposition offre une lecture complète de l’œuvre de Frank Gehry à travers une soixantaine de grands projets, répartis en six pôles retraçant les différentes étapes qui jalonnent son parcours. Deux pôles thématiques : « urbanisme » et « computation » complètent cette présentation. Une sélection de documents originaux - 225 dessins et 67 maquettes - permet de suivre l’évolution du langage plastique, architectural et artistique de l’architecte américain.
POLE 1 – ELÉMENTARISATION – SEGMENTATION, 1965-1980
Frank Gehry crée son agence à Santa Monica en 1962. Fort d’une solide connaissance du monde de la construction, il réalise de nombreux projets pour des promoteurs immobiliers, des industriels ou des agences d’urbanisme. Des commandes de maisons individuelles et d’ateliers d’artiste lui permettent de conduire simultanément une démarche expérimentale sur l’inscription de l’architecture dans le territoire californien. La relation de l’objet à son environnement, le choix de matériaux industriels et économiques (grillages galvanisés, tôle, stuc, carton, bitume) et le détournement des modes de construction traditionnelle en bois, initient la formation d’un langage architectural. Formellement, l’architecte segmente et décompose les géométries élémentaires du bâtiment. Chacun des projets, explicitement critique vis-à-vis du fonctionnalisme, interroge ainsi les relations « clos-couvert », « espace ouvert-espace fermé », « visible-caché » ou encore la continuité entre mur et toiture. Des volumes minimalistes de l’atelier de Louis Danziger (1984) aux géométries illusionnistes de la maison de Ron Davis (1068 – 1972), c’est finalement un champ expérimental que F. Gehry déploie, jusqu’à l’extension de sa propre maison, à Santa Monica (1977-1978), qui condense la portée critique de son travail et marque, au début des années 1980, sa reconnaissance internationale.
Spiller Residence, 1979-1980, Los Angeles, Californie, Etats-Unis (esquisses)
La Spiller House se décompose en deux lots : côté rue, un logement en locatif en duplex, au fond de la parcelle la résidence du propriétaire sur 4 niveaux. Cette composition volumétrique optimise les vues vers l’océan Pacifique. Une cour sépare les deux bâtiments ; leurs façades sont en tôle ondulée, un matériau peu onéreux et industriel. Un bow-window et une verrière rompent la sévérité de cet habillage et laissent apparaître la structure en claire-voie.
Gunther Residence, 1978 (non réalisé), Malibu, Californie, Etats-Unis (esquisses)
Cette maison de vacances s’inscrit dans une série de trois maisons commandées à Gehry, sur les falaises de Malibu. Site protégé et très escarpé, la construction sur pilotis devait permettre de récupérer le dénivelé du terrain tout en préservant l’environnement. La particularité de ce projet réside dans l’assemblage de volumes cubiques en stuc blanc et de pare-soleils en treillis métalliques. Expérimentant ce matériau commun mais méprisé, Gehry créée des zones ombragées tout en préservant la vue sur l’océan.
Wagner Residence, 1978 (non réalisé), Malibu, Californie, Etats-Unis (esquisses et maquette)
Maison familiale et cabinet de travail, ce projet devait être réalisé sur une pente escarpée des collines de Malibu. Afin d’obtenir une stabilité structurelle et de ne pas perturber l’écosystème environnant, Gehry choisit de surélever sur pilotis la totalité de la maison. Les trois niveaux en cascade suivent la topographie de la colline et l’utilisation de plans inclinés, parallèles à la pente, donnent l’impression qu’un glissement de terrain pourrait à tout moment se produire.
Mid-Atlantic Toyota Distributors, 1976-1978, Glen Burnie, Maryland, Etats-Unis (esquisses)
Frederick R. Weisman confie à Gehry l’aménagement des bureaux de la franchise Toyota qu’il dirige. À partir d’un entrepôt en béton, l’architecte anime la façade extérieure par trois avancées en tôle ondulée. A l’intérieur sont aménagés des bureaux paysagés, fidèle au souhait du commanditaire d’intégrer des références à la culture japonaise. Le cloisonnement anguleux des bureaux et le treillis métallique monté en panneaux évoquent un paysage (celui de la mer intérieure du Japon) et qualifient spatialement l’open-space.
Danziger Studio / Residence, 1964, Los Angeles, Californie, Etats-Unis (esquisses)
C’est dans le district Hollywood, dans un quartier proche de nombreux ateliers d’imprimeurs, que se trouvent la maison et le studio du graphiste Lou Danziger. Les deux bâtiments distincts sont légèrement en retrait de la rue et décalés l’un par rapport à l’autre. Cette implantation permet la création d’un jardin intérieur sur lequel les espaces privés s’ouvrent largement. La proximité du boulevard Melrose, bruyant, détermine sur la rue une façade urbaine aveugle dont la matérialité en stuc gris renforce la géométrie élémentaire.
Davis Studio / Residence, 1968-1972, Malibu, Californie, Etats-Unis (esquisses)
La conception de cette maison a fait l’objet d’une étroite collaboration entre Frank Gehry et son propriétaire, le peintre Ron Davis. Conçue selon une perspective inscrite dans le paysage, la forme prismatique du bâtiment est déterminée par le paysage alentour. L’architecture trouve un lien avec le travail personnel du peintre sur la perspective. Construite avec les méthodes traditionnelles de la charpente en bois, la maison est modifiée à deux reprises par Frank Gehry qui adapte pour l’artiste les aménagements intérieurs.
Gemini G.E.L. Gallery, 1976-1979, Los Angeles, Californie, Etats-Unis (relevé)
Atelier d’éditions d’art installé sur Melrose Avenue, proche du Danziger Studio, la galerie Gemini G.E.L charge Frank Gehry de réaménager le bâtiment existant et de créer une extension de 465 m2. Simple boîte blanche, le nouveau bâtiment contraste avec ceux existants en stuc gris foncé. L’ossature à claire-voie apparait ponctuellement derrière les verrières, donnant à l’ensemble un aspect de bâtiment inachevé. Pour la première fois, Gehry dissocie la structure du bâtiment de celles des circulations (escaliers, hall d’entrée).
Familian Residence, 1978 (non réalisé), Los Angeles, Californie, Etats-Unis (esquisses et maquette)
Présenté lors de l’exposition « Deconstructivist Architecture » (1988, Museum of modern art), ce projet participe à l’affirmation d’une nouvelle modernité. Un volume cubique (pièces de réception) est placé en oblique par rapport à un autre rectangulaire (chambres) et met en tension les différents éléments du programme. L’unité est donnée par un traitement uniforme des façades traversées par des passerelles et des verrières. Les fenêtres sont découpées directement dans le parement en stuc blanc, rendant lisible, dans une esthétique brute, l’ossature à claire-voie.
Gehry Residence, 1977-1978, 1991-1994, Santa Monica, Californie, Etats-Unis (esquisses et maquette)
C’est à partir d’un bâtiment existant typique de l’architecture pavillonnaire américaine que Gehry conçoit sa propre maison en puisant dans l’imaginaire visuel de la banlieue californienne. L’extension se présente sous la forme d’une enveloppe qui entoure sur trois côtés la maison d’origine laissée intacte. Le rez-de-chaussée est entièrement réorganisé: deux chambres et un vaste séjour sont maintenus dans les limites de la structure préexistante, tandis que la cuisine et la salle à manger prennent place dans la partie nouvelle de la maison. À l’étage, le plan intérieur d’origine n’est pas touché, mais le toit de l’extension sert de vastes terrasses. Des matériaux pauvres, tels que la tôle ondulée, les treillis métalliques et le contreplaqué brut sont utilisés. Véritable objet autobiographique, cette maison est devenue une icône et marque le début de la reconnaissance internationale de Frank Gehry.
POLE 2 – COMPOSITION – ASSEMBLAGE, 1980-1990
La proximité de Frank Gehry avec la scène artistique californienne, au-delà de toute application esthétique, participe d’un questionnement approfondi sur l’architecture : une réinvention patiente de la notion d’objet architectural et de l’assemblage de programmes complexes. L’appropriation du concept de « one room building » - un bâtiment d’une seule pièce -, proposé par l’architecte et théoricien Philipp Johnson, marque son architecture, au tournant des années 1980. Les dispositifs qu’il met en place s’appuient sur la dissociation des éléments fonctionnels et en accentuent l’hétérogénéité. Ouvrir et confronter l’architecture à des correspondances entre des entités diverses, la métisser d’interactions avec la ville et recomposer les programmes à partir d’unités autonomes, telles sont les intuitions qu’il explore à chaque nouveau projet. De la mise en crise de l’identité de la forme architecturale, à la redéfinition de l’assemblage des différentes parties des programmes, Frank Gehry invente une architecture de l’interrelation dont les fameuses jumelles de Claes Oldenburg, pour l’agence de publicité Chiat Day (1985- 1991, Santa Monica), demeurent le symbole.
Winton Guest House, 1982-1987, Wayzata, Minnesota, Etats-Unis. Déplacée à Owatonna, Minnesota, Etats-Unis (esquisses et maquette)
Les Winton, couple de collectionneurs, font appel à Frank Gehry pour ériger une maison d’invités, à proximité immédiate de leur résidence conçue par Philip Johnson. Gehry oppose à la trame orthogonale de cette dernière des formes abstraites, simples et compactes. Organisé selon une composition centrifuge et dynamique, chaque élément conserve son autonomie et sa propre matérialité.
Le traitement des finitions renforce l’abstraction de l’ensemble conçu comme une installation artistique à part entière.
Sirmai-Peterson Residence, 1983-1988, Thousand Oaks, Californie, Etats-Unis (esquisses et maquette)
Cet édifice marque une évolution dans la recherche de Gehry sur l’habitat individuel : travaillant toujours l’éclatement du programme en « pièces autonomes », il explore ici une forte intégration des fonctions et des articulations entre les différentes parties. Au bord d’un bassin artificiel, la résidence se déploie en trois volumes distincts. Le bâtiment principal accueille les pièces de vie tandis que les chambres sont écartées dans deux pavillons latéraux, sorte de presqu’îles reliées au corps principal de l’habitation par des pontons.
Edgemar Development, 1984-1988, Santa Monica, Californie, Etats-Unis (esquisse et maquette)
Fondé en 1984, le Santa Monica Museum of Art demande à Frank Gehry d’aménager le site d’une ancienne laiterie en vue d’accueillir l’institution ainsi que des espaces commerciaux. L’usine est reconvertie afin d’héberger le musée et de nouveaux bâtiments sont créés pour recevoir : commerces, cinéma, café... Côté rue, ils prennent l’apparence de volumes autonomes qui rejouent la complexité urbaine du quartier. Leur disposition et leurs volumes courbes guident le visiteur vers le cœur de l’îlot ouvert et l’invite à pénétrer jusqu’à la galerie d’exposition.
Chiat/Day Building, 1985-1991, Los Angeles, Californie, Etats-Unis (esquisses et maquette)
La création du siège social de cette agence de publicité a été menée en collaboration avec le couple d’artistes Claes Oldenburg et Coosje Van Bruggen. Outre les espaces conventionnels de bureaux, la paire de jumelle qui sert d’entrée au bâtiment, marque spatialement et symboliquement l’identité du bâtiment. Il s’agit d’une citation directe d’une sculpture d’Oldenburg pour la performance « Il Corso del Coltello » (1985) réalisée à Venise et à laquelle Frank Gehry avait participé.
Schnabel Residence, 1986-1989, Los Angeles, Californie, Etats-Unis (esquisses)
Émanation de la Tract House que le couple Schnabel connaissait, cette villa suit les mêmes principes de composition. Les éléments programmatiques sont dispersés sur l’intégralité du terrain et profitent du paysage des collines californiennes. À chaque volume correspond une forme, une matérialité, un caractère architectural spécifique. L’apparente désorganisation révèle en fait un espace pensé selon des perspectives et des points de fuite, mettant en valeur ces bâtiments à la manière d’objets trouvés.
California Aerospace Museum and Theater, 1982-1984, Los Angeles, Etats-Unis (maquette)
Ce bâtiment est la première commande publique et le premier musée réalisé par Frank Gehry. Il s’agissait pour l’état californien d’implanter un élément architectural fort dans l’Exposition Park, en cours de réaménagement pour les Jeux olympiques de 1984. Il est constitué de trois volumes distincts à l’intersection desquels se trouve l’entrée du musée. Un avion en position d’envol fixé sur la façade accueille les visiteurs et symbolise, à la manière d’une enseigne, la conquête spatiale.
Indiana Avenue Houses, 1979-1981, Los Angeles, Californie, Etats-Unis (esquisses et maquette)
Pour cette petite opération immobilière, Frank Gehry densifie fortement la parcelle de ce quartier résidentiel de Venice. La seconde stratégie est d’autonomiser chacun des ateliers d’artistes, par leur volume comme par leur texture (goudron, bois, stuc). Des éléments typologiques de l’architecture locale des années 1930 (escalier, cheminées, baie vitrée) spécifient chacun des ateliers. De l’intérieur on peut lire l’enveloppe extérieure, révélant un travail en creux de la matière.
House for a Filmmaker, 1979-1981, Santa Monica, Californie, Etats-Unis (esquisses et maquette)
Dans la “maison pour un cinéaste”, Frank Gehry choisit de disperser le programme sur le site en pente qui surplombe le canyon de Santa Monica. Les pièces de la maison deviennent autant d’entités individuelles, sans continuité bâtie : le garage en contreplaqué rouge, le séjour en béton, la chambre principale surmontée d’un toit terrasse... Le mouvement devient la modalité de « l’habité » dans une architecture performative qui intègre des dispositifs mobiles.
Wosk Residence, 1981-1984, Beverly Hills, Californie, Etats-Unis (esquisses et maquette)
Gehry rénove un immeuble de quatre étages, sur le toit duquel il crée un duplex pour l’artiste Miriam Wosk. Les niveaux inférieurs forment le piédestal de cet appartement composé de volumes juxtaposés aux couleurs vives. Contrairement à la House for a Filmmaker, ce morcellement ne relève pas d’un éclatement de l’édifice mais s’apparente à un travail de modulation d’un espace intérieur continu pour révéler les différenciations fonctionnelles. L’intérieur est conçu en collaboration avec l’artiste qui réalise des décors en carrelage, aux motifs colorés.
Smith Residence, 1981 (non réalisé), Los Angeles, Californie, Etats-Unis (esquisses et maquette)
Robert et Joanne Smith commandent à Gehry l’extension de l’une de ses premières réalisations (la Steeves House, 1959). D’une maison au plan en croix, il propose de prolonger l’axe longitudinal en un ensemble de pavillons hétérogènes. Pour rompre l’ordre de son premier travail, il imagine un système ramifié adapté à la déclivité du terrain. Les volumes sont juxtaposés, spatialement et matériellement autonomes. Un volume vitré relie l’ancien bâtiment et son extension et accueille la nouvelle entrée.
Tract House, 1982 (non réalisé) (esquisses et maquette)
Le projet de la Tract House est générateur des recherches menées par Frank Gehry sur la fragmentation de l’espace domestique. À partir d’un système normé d’un carré divisé en neuf, Gehry juxtapose une série de constructions autonomes aux géométries diverses et colorées. Le travail en maquette permet d’apprécier ce mode d’organisation spatiale. L’agencement des éléments révèle sa position critique vis-à-vis de la monotonie et l’uniformité du « suburb » américain.
Norton House, 1982-1984, Los Angeles, Californie, Etats-Unis (esquisses et maquette)
Face à l’océan Pacifique, au bord de la plage, la Norton House s’étage sur deux niveaux et un cabinet d’écriture isolé dans une cabine blanche. Cette dernière s’apparente aux tours de surveillance de baignade que l’on trouve le long de la côte. L’inscription dans le contexte bâti est au cœur du projet comme le montre aussi la hauteur standard de l’habitation, la façade sur rue sobre et anonyme, et l’usage de matériaux vernaculaires.
POLE 3 - FUSION – INTERACTION, 1990-2000
Conscient des limites d’une esthétique de l’agrégation et de l’assemblage, même si elle s’est affranchie des doctrines défendues par l’école rationaliste ou par un postmodernisme emprunt de culture « pop », Frank Gehry cherche à retrouver un principe d’unité et de continuité entre l’objet architectural et son milieu. Le projet pour la Lewis Residence (1985-1995) ou celui pour le Vitra Design Museum (1987-1989) sont,
à ce titre, des expérimentations majeures et transfigurent la question de la forme pour inventer de nouveaux principes d’écriture architecturale : une unicité organique. L’utilisation, pour la conception des maquettes de la Lewis Residence, de tissu imprégné de cire afin de saisir la dynamique d’un mouvement de drapé s’inscrit ainsi dans l’affirmation de l’interaction entre structure, matériau, enveloppe et ornement.
Au moment où Frank Gehry explore les potentiels de nouvelles formes de modélisation assistée par ordinateur, les nouveaux instruments de prescription qu’il développe lui permettent de produire une architecture de la continuité : les murs et les toitures se muent en de vastes voiles, une enveloppe produite par un seul matériau, qui fusionne la décomposition des volumes d’un programme initialement fragmenté. Le musée Guggenheim à Bilbao (1991 – 1997) en est l’une des démonstrations les plus exemplaires.
EMR Communication and Technology Center, 1991-1995, Bad Öynhausen, Allemagne (esquisses et maquette)
L’entreprise de distribution d’électricité EMR demande à Gehry de concevoir un lieu de démonstration des constructions à basse consommation d’énergie. Tenant compte du tissu résidentiel à proximité, Gehry répartit le programme dans un ensemble de formes diversifiées articulées autour d’un atrium. En dehors des systèmes d’éclairage naturel et des puits de ventilation, Gehry décline un ensemble de techniques de pointe liées à l’économie d’énergie tel que le triple vitrage, les panneaux et le chauffe-eau solaire.
Frederick R. Weisman Art and Teaching Museum, 1990-1993, 2000-2011, Minneapolis, Minnesota, Etats-Unis (esquisses et maquette)
Commandé par Frederick R. Weisman, les 3.800 m2 de ce musée sont dédiés à la collection d’art de l’université du Minnesota. Situé sur les rives du Mississippi, le bâtiment se distribue sur quatre niveaux dont le troisième, directement accessible depuis une passerelle piétonne, accueille les collections. La façade principale située côté fleuve, est une porte symbolique de la ville. En acier inoxydable réfléchissant, sa matérialité s’oppose aux autres faces en brique qui inscrivent davantage le projet dans son environnement.
Vitra Design Museum, 1987-1989, Weil-am-Rhein, Allemagne (maquette)
À la suite d’un incendie qui détruisit la majeure partie de ses usines, l’éditeur de meubles Vitra décide de reconstruire son site industriel à la manière d’un parc d’architectures. Il confie à Gehry la création d’un musée pour présenter sa collection. Première réalisation en Europe de l’architecte, le bâtiment se présente comme l’imbrication de différents volumes et produit une géométrie contorsionnée. À l’inverse, les espaces d’exposition sont conçus comme de simples espaces rectangulaires, pour créer un environnement neutre favorable à la présentation des chaises.
Campus Novartis, Gehry Building, 2003-2009, Bâle, Suisse (maquette)
Cette commande s’inscrit dans le renouvellement des infrastructures du groupe pharmaceutique Novartis. 19.500 m2 sont organisés sur cinq niveaux séquencés et réunis autour d’un atrium central pour faciliter les échanges et les occasions de rencontres. Les concepts d’ouverture et de transparence sont renforcés par l’utilisation du verre en façades. L’utilisation de dispositifs d’énergie renouvelables et la création d’une zone tampon entre les plateaux climatisés et la coque de verre illustrent l’engagement du groupe en matière de responsabilité environnementale.
Der Neue Zollhof, 1994-1999, Düsseldorf, Allemagne (esquisses et maquette)
Gehry choisit de fractionner le programme de 28.000 m2 de bureaux en trois entités distinctes. Les vides laissés entre les bâtiments permettent d’offrir des vues sur le fleuve depuis la ville et de maintenir la relation entre les deux. L’unité n’est pas donnée par l’utilisation d’un seul matériau (parements de stuc blanc, de panneaux d’acier et de brique) mais par la correspondance de formes plastiques et par la répétition d’un modèle de fenêtre.
Guggenheim Museum Bilbao, 1991-1997, Bilbao, Espagne (esquisses et maquette)
Confrontée à une crise industrielle, la capitale du pays basque décide de se redynamiser par la création d’une nouvelle institution culturelle. F. Gehry convainc la municipalité et la fondation Guggenheim d’implanter le musée sur une friche industrielle, en contrebas d’un pont autoroutier. La géométrie complexe des volumes incurvés et orthogonaux sert de signature au projet et intègre l’environnement adjacent à sa composition. La façade côté fleuve est traitée en fines plaques de titane ; côté sud, la pierre calcaire d’Espagne dialogue avec la ville.
Lewis Residence, 1989-1995 (non réalisé), Lyndhurst, Ohio, Etats-Unis (esquisses et modèle)
Pour la conception de sa maison, Peter B. Lewis encourage Gehry à pousser toujours plus loin ses investigations. Les premières recherches convoquent une accumulation d’objets architecturaux rappelant le vocabulaire stylistique de certains projets avant d’évoluer vers une interpénétration de formes plus fluides couplée à une utilisation surprenante des matériaux. Les propositions et les périodes d’abandon se succèdent pendant dix années d’intenses réflexions et de collaborations artistiques, mises à profit dans la plupart des projets ultérieurs.
Frederick R. Weisman Art and Teaching Museum, 1990-1993, 2000-2011 (réalisé) Minneapolis, Minnesota Photo : Don F.Wong
POLE 4 – TENSION – CONFLIT, 1990-2000
Le travail de Frank Gehry sur les espaces interstitiels combine des effets plastiques de tension et d’attraction. L’architecte met en scène les contradictions du tissu urbain, ses ruptures et il use des effets de faille, de choc, voire même de conflit entre les différents volumes d’un bâtiment. Derrière la complexité croissante de ses constructions, Frank Gehry cherche cependant à reconstruire des équilibres. Ainsi, à Prague, nomme-t-il le bâtiment de la Nationale Nederlande (1992-1996) « Ginger et Fred », signifiant par là que les deux corps de bâtiment, tout comme les corps en tension des danseurs, ne font plus qu’un dans le mouvement. Le travail sur l’élasticité, sur la compression, sur le conflit même entre les éléments constructifs (maçonnerie, verrière, couverture, etc.), l’interaction des matériaux entre eux visent in fine à jouer un rôle de connecteur dans un tissu urbain complexe. Frank Gehry s’est toujours opposé à l’identité inerte, figée de l’objet sculptural. Sa recherche d’un espace architectural au sein duquel les interstices entre les édifices intensifient l’énergie de la ville, des circulations et des flux, trouve l’une de ses expressions les plus fortes dans le Walt Disney Concert hall (1989 – 2003), à Los Angeles.
Corcoran Gallery of Art, 1999 (non réalisé), Washington, D.C., Washington, Etats-Unis (esquisses et maquette)
Plus ancien musée de Washington, la Corcoran Gallery of Art décidé de faire appel à F. Gehry pour concevoir un projet de rénovation et d’extension. Entre dialogue et confrontation, les façades puissamment ondulées en acier inoxydable s’opposent à l’ordre et à la symétrie des façades en pierre du bâtiment du XIXème siècle. La nouvelle entrée monumentale structurée par l’enroulement des feuilles de métal permet l’accès à l’école d’art et de design tandis que les galeries d’exposition demeurent dans le bâtiment existant.
Guggenheim Abu Dhabi, 2006- (en cours), Abu Dhabi, Emirats Arabes Unis (esquisses et maquette)
Pointe de la capitale, l’île de Saadiyat accueille un vaste programme d’aménagement comprenant des musées tels que le Louvre et le Guggenheim. Ce dernier se développe sur plus de 30.000 m2 et donne à voir une accumulation de parallélépipèdes et de cônes translucides aux inclinaisons et hauteurs variées, directement inspirés des tours à vent locales. Au cœur du bâtiment, un atrium surplombé d’une verrière sert de point de convergence aux galeries d’exposition.
MARTa Herford Museum, 1998-2005, Herford, Allemagne (esquisses et maquette)
Le musée des arts appliqués de Herford est construit sur le site d’une ancienne usine de textile. L’extension que construit Gehry contient deux logiques : celle de boîte en maçonnerie de brique et celle de voiles métalliques pour les couvertures. L’ondulation des toits rappelle la rivière à proximité tandis que la brique rouge renouvelle la tradition constructive locale créant une interaction du musée avec son environnement.
Museobio, 2000- (en cours), Panama, Panama (esquisses et maquette)
Lieu d’exposition, de conservation et d’éducation, ce musée est dédié à l’histoire géologique et écologique du Panama. Le contenu des salles, élaboré dès l’origine du projet, a déterminé en partie le programme architectural. Le bâtiment cherche à rendre concret la richesse de la biodiversité tropicale. La multiplication des toitures pliées et éclatés, et l’utilisation de couleurs vives expriment un musée dynamique, nouveau en son genre. Les galeries d’expositions gravitent autour d’un atrium central, une place publique en libre accès.
Jerusalem Museum of Tolerance – Center for Human Dignity. Project of the Simon Wiesenthal Center, 2000-2003 (non réalisé),
Jérusalem, Israël (esquisses et maquette) L’enjeu de ce projet situé en plein cœur de Jérusalem, est d’exprimer par l’architecture, l’idée d’unité, de respect et de tolérance entre les peuples. Pour cela, sept volumes différenciés, tant par les matériaux –titane argenté et bleuté, pierre dorée de Jérusalem, acier, verre- que par leur formes, s’articulent ensemble par un système de connexions intérieures et extérieures.
The Peter B. Lewis Science Library, 2002-2008, Princeton, New Jersey, Etats-Unis (esquisses et maquette)
Rassemblant en un seul lieu toutes les collections, tous domaines confondus, de l’université de Princeton, la bibliothèque Lewis abrite des salles de lecture, des laboratoires et des instituts de recherche. La silhouette générale de la bibliothèque est structurée par une tour qui domine des constructions plus basses. Les géométries affirmées des volumes se mêlent à un emploi varié des matériaux (brique, acier, verre, stuc).
Ray and Maria Stata Center for Computer Information and Intelligence Sciences, 1998-2004, Cambridge, Massachusetts, Etats-Unis (esquisses et maquette)
Bâtiment dédié à la recherche scientifique, la commande s’insère dans un plan de restructuration d’une partie du campus de l’Institut de technologie du Massachusetts. Voulant favoriser les collaborations entre les chercheurs issus de disciplines différentes, l’architecture du projet fonctionne comme un « connecteur » au sein du campus. Le plan masse est organisé principalement par l’amphithéâtre en plein air, situé au cœur de l’îlot. Tout se fonde ici sur des principes de flexibilité qui se répercute en façade par des volumes fortement individualisés.
Walt Disney Concert Hall, 1989-2003, Los Angeles, Californie, Etats-Unis (esquisses et maquette)
Institution culturelle principalement financée par Lilian Disney, veuve de Walt Disney, le bâtiment est situé à downtown Los Angeles. Son implantation suivant la diagonale du site, permet de rompre l’orthogonalité du bloc, de multiplier les plans de perception et d’organiser l’entrée de la salle de concert. La recherche d’une acoustique exceptionnelle et l’exigence d’un orchestre au centre du public ont déterminé l’expression formelle de la salle de concert, l’une des plus réputées au monde.
POLE 5 – CONTINUITÉ – FLUX, 2000-2010
Fort de sa maitrise de la production d’espaces interstitiels complexes, Frank Gehry engage leur réduction et explore de nouvelles formes spatiales, nées de la continuité des enveloppes. Pour le MARTa Herford Museum (1998-2005) ou le Richard B. Fisher Center for the Performing Art (1997-2003), il travaille la superposition des éléments de toiture, qui semblent s’autonomiser ; pour l’hôtel At Marquès de Riscal (1999-2006), c’est à leur multiplication en une combinaison luxuriante de rubans métallisés qu’il procède ; avec la DZ Bank (1995 – 2001) ou la clinique de Lou Ruvo (2005- 2010), il met en scène la continuité des surfaces de couverture. Ces jeux géométriques sur l’enveloppe du bâtiment produisent des compositions dont la complexité infinie pousse aux limites la disparition des notions même de façade, de couverture et les repères conventionnels liés à la verticalité d’un édifice. La flexibilité permise par la simulation numérique permettant de fusionner la structure constructive du bâtiment avec son enveloppe, la notion d’ornement se trouve alors transférée à la peau elle-même. Ainsi, la compénétration des volumes et leur fluidité produit une architecture hors de toute convention : organique, vivante, portée par les flux complexes de la cité.
DZ Bank Building, 1995-2001, Berlin, Allemagne (esquisses et maquette)
À la fois siège de la banque d’affaires DZ Bank et ensemble de logements haut de gamme, ce bâtiment, situé tout près de la porte de Brandebourg, est le premier projet berlinois de Gehry. Les façades extérieures très sobres s’intègrent au contexte urbain alentour tandis qu’à l’intérieur se déploie un autre univers matériel et formel. Les bureaux sont organisés autour d’une cour intérieure au sein de laquelle est implantée une salle de conférence spectaculaire. Sa forme constitue une extension du motif de la tête de cheval que F. Gehry avait initié pour la Lewis Residence.
Experience Music Project, 1995-2000, Seattle, Washington, Etats-Unis (esquisses et maquette)
Dans la ville natale du guitariste mythique Jimi Hendrix, le co-fondateur de Microsoft Paul Allen, initie la construction d’un lieu dévolu à la culture rock et aux musiques populaires nord-américaines. En hommage au musicien, le bâtiment puise dans son vocabulaire rythmique et mélodique: amplification et distorsion du son, improvisation... Six volumes distincts par leurs formes et par leur enveloppe métallisée sont agencés et intègrent le monorail qui relie le parc à la ville, pour former un bâtiment ample et dynamique.
The Richard B. Fisher Center for the Performing Arts at Bard College, 1997-2003, Annandale-on- Hudson, New York, Etats-Unis (esquisse et maquette)
Située dans la vallée de l’Hudson, cette salle de spectacle devait instaurer, selon le souhait du maître d’ouvrage, une relation forte avec le paysage naturel. Les variations lumineuses du ciel se réfléchissent sur les auvents ondulés en métal qui enveloppent le bâtiment et qui semblent le fondre dans l’environnement. Le programme comprend deux salles de concert, l’une hexagonale, l’autre rectangulaire, qui dictent les formes générales du bâtiment.
Hôtel at Marqués de Riscal, 1999-2006, Elciego, Espagne (esquisses et maquette)
Construit sur l’un des plus anciens vignobles de la Rioja, ce complexe hôtelier s’inscrit dans un projet de revalorisation touristique du Pays basque. Au-dessus des cuves et des caves à vin du domaine viticole, un spectaculaire pare-soleil composé d’une vingtaine d’auvents en titane et acier surmonte des volumes cubiques en parement de pierre. Malgré l’inscription contrastée du bâtiment dans le paysage, l’usage du grès pâle associe le bâtiment à la matérialité du site et du village traditionnel avoisinant.
Jay Pritzker Pavilion + the BP Pedestrian Bridge, 1999-2004, Chicago, Illinois, Etats-Unis (maquette)
Au cœur du Millennium Park, Gehry est chargé de construire un pavillon de musique en plein air pour accueillir 11.000 personnes, typologie qu’il a déjà traité auparavant plusieurs fois. La scène est bordée par des auvents métalliques courbés et prolongée par un treillis d’acier qui forme une arche à ciel ouvert sur 183 m de longueur au-dessus de l’auditoire. Un pont sinueux enjambe l’autoroute à proximité
et permet d’isoler la scène du bruit. L’architecture permet une propagation optimale du son tout en exprimant l’idée d’énergie et de mouvement intrinsèque à la musique.14
Cleveland Clinic Lou Ruvo Center for Brain Health Project, 2005-2010, Las Vegas, Nevada, Etats-Unis (esquisses et maquette)
Dans un nouveau quartier de Las Vegas, Gehry conçoit avec le philanthrope et mécène Larry Ruvo, un centre spécialisé dans les maladies neurodégénératives. Côté nord, un empilement irrégulier de volumes cubiques en béton sur quatre niveaux génère une façade à multiplets retraits ; côté sud, les volumes sont couverts par une enveloppe autoportante en acier inoxydable dont les fenêtres incurvées suivent les circonvolutions du métal. La dynamique extérieure se répercute à l’intérieur du bâtiment où les murs courbes évacuent toutes connotations médicales traditionnelles.
Samsung Museum of Modern Art, 1997 (non réalisé), Séoul, Corée du sud (esquisses et maquette)
À proximité d’un complexe architectural historique comprenant deux palais et la résidence royale, Samsung invite Frank Gehry à réfléchir à un musée d’art moderne. Sur une parcelle en “L“, l’architecture déploie un programme de 15.000 m2 en une spirale ascensionnelle émergeant du sous-sol jusqu’à atteindre la hauteur de l’immeuble adjacent. Une enveloppe en métal au profil en forme de tête de cheval, confondant toiture et façade, vient englober cette structure sous-jacente et facilite les transitions entre les différentes hauteurs.
Quanzhou Museum of Contemporary art (QMoCA), 2012- (en cours), Quanzhou, Chine (esquisses et maquette)
Ce musée d’art contemporain est au cœur d’un projet de réaménagement d’un ancien quartier industriel en zone culturelle et commerciale. Le bâtiment entre à la fois en résonance avec le passé et le présent de la ville. Sa hauteur est déterminée par les pagodes proches tandis que l’enveloppe en titane rouge renvoie aux briques traditionnelles. Les formes complexes sont quant à elles issues du travail de l’artiste contemporain Cai Guo-Quiang. Elles cherchent à capturer l’énergie et la tension qui précèdent l’explosion de ses feux d’artifice.
POLE 6 – SINGULARITÉ – UNITÉ, 2010-2015
Disposant d’un langage architectural patiemment forgé, Gehry peut appliquer sa stratégie critique à son propre travail et questionner l’identité de l’objet architectural. L’Üstra Office Building (1995-2001), un parallélépipède soumis à une légère torsion, ouvre cette problématique, qui sera approfondie par l’IAC Building (2003-2007) puis par le 8 Spruce Street à New York (2003-2011). La complexité morphologique de la façade de cette tour résonne des vibrations de Manhattan pour accéder au statut d’icône.Ici, comme pour la fondation Louis Vuitton construite dans le Bois de Boulogne à Paris (2005 – 2014), l’architecture entre en mouvement; elle construit la syncope des multiples regards que l’on peut porter sur elle, et autant d’expériences qui se confondent avec l’unité du bâtiment. Si la question, que Frank Gehry résout ici, n’est plus celle de l’identité de l’objet mais bien plutôt celle de sa singularité, ses projets, tous de nature urbaine, ne nous disent ainsi pas seulement ce que pourrait être l’architecture : ils nous éclairent sur ce qu’est le lieu où l’artefact construit s’enracine, une géographie, un espace et un paysage, un temps social et une matérialité, en un mot, un territoire.
Üstra Office Building, 1995-2001, Hanovre, Allemagne (esquisses et maquettes)
La tour de bureaux de la société de transports publics allemands Üstra prend place au sein d’un projet d’aménagement de la place Am Steintor. Située à l’angle d’un îlot, la géométrie de la tour de neuf niveaux est dynamisée par une torsion. La rotation successive des plans de niveaux permet de conserver une répartition régulière du programme, que seul traduit l’alignement des baies. Une excroissance de 5 étages en acier inoxydable bleu foncé facilite la transition de hauteur entre les bâtiments adjacents et le nouvel édifice.
IAC building, 2003-2007, New-York, New-York, Etats-Unis (esquisses et maquette)
Le siège social de l’entreprise InterActiveCorp (IAC) s’élève dans la skyline de Manhattan, près des berges de l’Udson vers lequel le bâtiment tourne sa façade principale. De fines particules de céramiques mêlées aux panneaux de verre qui composent la façade donnent sa blancheur au bâtiment. Cette masse opaque est striée par des zones de verre non teinté, comme autant de lignes d’horizon. La découpe des façades en facettes, qui semblent gonfler sous l’effet du vent et le retrait de la partie supérieure, donne à l’ensemble un caractère nautique qui inscrit le bâtiment dans son contexte paysager.
The Luma Foundation / Parc des Ateliers, 2007- (en cours), Arles, France (esquisses et maquette)
Au cœur du Parc des Ateliers d’Arles, friche ferroviaire qui accueille des manifestations artistiques, la fondation Luma fait édifier une tour dédiée à la création contemporaine. L’enjeu est de revitaliser ce patrimoine industriel par sa mise en tension avec une architecture résolument contemporaine. La tour est une traduction architecturale métallique d’un massif montagneux des Alpilles. Les variations de la roche sont formalisées par l’empilement de modules de mousses d’aluminium rythmé par des volumes vitrés orthogonaux.
Santa Monica Mixed-Use Development, 2008- (en cours), Santa Monica, Californie, Etats-Unis (maquette)
Au cœur du quartier de Santa Monica, sur Ocean boulevard, Gehry est chargé de construire un programme immobilier comprenant des commerces et des logements. Sur une parcelle en « L », il conçoit deux séquences autonomes qui induisent un rapport différenciés à la rue : quatre petits édifices et une tour dont le socle occupe l’essentiel de la parcelle. Gehry procède par retraits successifs des étages, permettant une meilleure intégration dans le tissu urbain environnant peu élevé. Les diagonales ascendantes créent des zones convexes qui accrochent la lumière et sculptent la façade.
Sonderborg Kunsthalle, 2010, Sonderborg, Danemark (esquisses et maquettes)
Dédiée à la création contemporaine, la future Kunsthalle s’inscrit dans le projet de requalification culturelle de l’ancien port industriel de Sonderborg. A ce stade de l’étude, l’édifice tout entier apparaît comme recouvert d’un lourd drapé. Le choix de la brique, en relation aux savoir-faire locaux et à une utilisation des technologies de pointe inscrit cette architecture au croisement des traditions et de l’innovation constructive.
8 Spruce Street (Beekman Tower), 2003-2011, New-York, New-York, Etats-Unis (esquisses et maquette)
Le profil élancé de la Beekman Tower domine Manhattan du haut de soixante-seize étages décomposés en paliers successifs. Outre sa hauteur, c’est sa façade qui l’impose dans le paysage urbain. Les courbures des bandes d’aluminium anodisé qui composent le mur-rideau accrochent la lumière et l’animent de reflets argentés. Ce travail de modulation de la façade participe de la diversité des espaces : les plis créés par ondulations de la façade permettent en effet de singulariser chacun des neuf cent logements qui composent la tour.
National Art Museum of China Competition (NAMOC), 2010-2012 (non réalisé), Pékin, République populaire de Chine (esquisses et maquette)
Pour le concours du musée national d’art de Chine, l’architecte propose un volume simple, compact, enserré par une double peau. Celle-ci est composée de modules de verre traité à la manière
« d’une pierre translucide » et évoque la préciosité et la translucidité du jade. À l’intérieur, neuf volumes géométriques distincts, chacun éclairé par un puits de lumière, se développent indépendamment de la structure.
Monaco Competition, 2007 (non réalisé), Principauté de Monaco (maquette)
La principauté de Monaco invite cinq groupements de promoteurs et d’architectes à concevoir un projet urbain maritime d’environ six hectares. Frank Gehry concourt avec Christian de Portzamparc et Rem Koolhaas. Reprenant la verticalité et la densité du tissu monégasque, Gehry propose trois tours qui dominent un quartier de faible hauteur. Leur morphologie générale est produite par la rencontre de la surface froissée de l’enveloppe avec la simplicité des volumes ; l’architecture se comprime ou se dilate à la manière des collines accidentées environnantes.
National Art Museum of Andorra, 2007 (non réalisé), Principauté d’Andorre (maquettes)
Andorre organise en 2007 un concours (annulé depuis) pour la construction d’un musée à la forte identité architecturale en vue de redynamiser la principauté. Gehry imagine une tour de 80 mètres, seul bâtiment de grande hauteur dans le centre ville. Les modules d’aluminium expansé qui la constituent composent une forme minérale brute, sombre et rocailleuse. Cette pure émergence tellurique se singularise dans son contexte urbain pour se confondre avec les sommets environnants des Pyrénées.
Dr Chau Chak Wing Building, 2009- (en cours), Sydney, Australie (esquisses et maquette)
Lieu de recherche et d’enseignement pour l’université de technologie de Sydney, Gehry propose un bâtiment biface. La façade sur rue en brique est divisée en modules de cinq niveaux semblables à de petits bâtiments autonomes tandis que la façade arrière est composée de grands panneaux de verre. Cette enveloppe hétérogène accueille différents types d’espaces dont les plans s’adaptent aux formes extérieures. Le travail de répartition et d’intégration du programme est généré par la volonté de susciter la transdisciplinarité.
Fondation Louis Vuitton, 2005-2014 (inauguration le 27 octobre), Paris, France (esquisses et maquette)
C’est dans le Bois de Boulogne que s’implante la Fondation Louis Vuitton dédiée à l’art contemporain. À partir du cahier des charges (dix galeries d’expositions), Gehry décompose les différents éléments du programme en blocs parallélépipédiques. Le bâtiment alterne volumes pleins et espaces interstitiels dans une enveloppe composée de 3600 panneaux de verre matérialisant douze grandes voiles de verre. Chaque panneau est courbé de façon différenciée pour donner vie à un bâtiment léger et lumineux qui s’intègre au paysage du parc XIXème siècle.
Guggenheim Museum Bilbao, 1991-1997 (réalisé) Bilbao, Espagne Photo : Philippe Migeat, Centre Pompidou
URBANISME
Nationale-Nederlanden Building, 1992-1996, Prague, République Tchèque (esquisses et maquettes)
La compagnie d’assurance néerlandaise ING commande à Vlado Milunic et Frank Gehry la construction d’un immeuble de bureaux. Dès les premières esquisses, émerge l’idée d’un immeuble à l’angle duquel sont placées côte à côte deux tours au profil incurvé. Frank Gehry surnomme le projet « Ginger et Fred », signifiant que les deux bâtiments, tout comme les corps des danseurs, entrent en interaction et dans le mouvements, ne font plus qu’un. Les « tours dansantes » achèvent le rang des bâtiments s’étirant le long du fleuve et font œuvre de médiation avec l’espace environnant.
Loyola Law School, 1978-2003, Los Angeles, Californie, Etats-Unis (maquette)
Frank Gehry conçoit pour l’université de droit de Loyola un plan de réaménagement de son campus, divisé en six phases étalées dans le temps. L’architecte disperse les éléments programmatiques sur l’ensemble du campus, donnant à ce dernier une apparente désorganisation renforcée par l’aspect varié des bâtiments. Un vocabulaire typologique épuré est employé pour réinterpréter la monumentalité classique souhaitée par l’université. Gehry adapte de cette manière le caractère solennel de l’institution à son environnement.
Turtle Creek Development, 1986 (non réalisé), Dallas, Texas, Etats-Unis (maquette)
Le programme d’aménagement d’un secteur du quartier de Turtle Creek est mixte: un hôtel, des bureaux, un immeuble d’habitation et dix maisons de ville, regroupés autour d’un parc. Il s’agit de rompre les échelles des bâtiments, de produire une hétérogénéité formelle et matérielle. Des espaces intermédiaires permettent de préserver l’intimité des sphères domestiques; l’immeuble de logements est au centre de la parcelle tandis que les maisons de ville sont écartées derrière un jardin clos. La tour de bureau est constituée d’une façade rideau en verre.
Brooklyn Atlantic Yards Masterplan, 2003-2008, Brooklyn, New York, Etats-Unis
Une série d’immeuble d’une trentaine d’étage constitue la nouvelle physionomie de ce quartier encore faiblement urbanisé, conjuguant l’échelle des bureaux, celle des logements et des commerces. Le travail de positionnement des immeubles, comme la création d’un cheminement piéton au centre des parcelles en lanière produit une hiérarchie dans les circulations et une variété des espaces publics. Des équipements de loisir étaient prévus pour accroitre l’attractivité du quartier.
Alameda Redevelopment, 1993, Mexico City, Mexique (esquisses)
En bordure du parc d’Alameda, le projet est à la fois une densification et une rénovation d’une zone délaissée du quartier historique de Mexico. Trois tours de bureaux occupent le centre des blocs, tandis que des constructions de plus faible dimension viennent fabriquer des façades urbaines sur les avenues. Trois équipes d’architectes (Frank Gehry, Ricardo Legoretta et Skidmore Orwins & Merrill) ont été chargées chacune de réaliser une des trois tours et leur environnement immédiat.
Central Business District, 1981 (étude), Kalamazoo, Michigan, Etats-Unis (maquette)
C’est à l’initiative de l’American Institute of Architects du Michigan que Frank Gehry avec une équipe d’étudiants, réalise ce projet. La restructuration urbaine repose sur l’aménagement paysagé de deux bassins existants. Leur centralité organise d’une part le secteur commercial et marchand, et d’autre part un quartier d’habitations. L’hétérogénéité du projet souligne la position de Gehry : produire le plus de diversité dans la ville. Des objets monumentaux et narratifs comme le poisson magnifient ici cette position critique à l’égard du zoning.
COMPUTATION
Les outils numériques font leur apparition dans l’agence de Frank Gehry dès la fin des années 1980. Mais c’est surtout avec le projet de la Lewis Residence (1985-1995, non réalisé) que Gehry expérimente de manière approfondie le numérique dans la conception d’un projet. En 1992, il recourt au logiciel issu de l’aéronautique CATIA de Dassault Systèmes pour réaliser des surfaces à courbe complexe. Le modèle numérique 3D, généré par CATIA, s’impose dès lors comme l’unique source d’information pour tout le projet, articulation entre l’architecte, le client, les corps de métiers et les entreprises. En 2002, Gehry Technologies met en œuvre son propre logiciel, Digital Project. Pour Gehry, l’architecte est ainsi revenu au cœur du dispositif de conception et de production. Plus qu’un outil, le numérique ne cessa de nourrir la méthode exploratoire de travail de Frank Gehry, autorisant l’interaction permanente entre formes physiques et virtuelles, ouvrant le projet architectural à une complexité sans précédent.
FILM
«Esquisses de Frank Gehry» Film sonore, couleur, 2006 Réalisé par Sydney Pollack
Musique originale : Sorman & Nystrom Directeurs photo/vidéo : Sydney Pollack, Ultan Guilfoyle Production : Mirage Enterprises Et Thirteen/Wnet, New York’s American Master et LM Media GmbH Distribution : Pathé Distribution, France
Nationale-Nederlanden Building, 1992-1996 (réalisé)Prague, République Tchèque © Gehry Partners, LLP
ENTRETIEN AVEC FRANK GEHRY
Réalisé le 29 juin 2014, à la Fondation Louis Vuitton, Paris Propos recueillis par Frédéric Migayrou et Aurélien Lemonier.
Extrait du catalogue :
Frédéric Migayrou – Où donc tout a commencé ? Quel a été ce commencement ?
Frank Gehry – Lorsque j’étais jeune [...] je travaillais dans la quincaillerie de mon grand père, je fabriquais des tuyaux filetés, on découpait du verre, on vendait des clous et du mastic, je réparais des horloges et toutes sortes de choses. J’ai toujours conservé en moi cette référence tactile. Nous étions une famille très pauvre, il n’y avait donc aucune chance pour que nous vivions dans un environnement luxueux... Toujours de petites pièces que je partageais avec d’autres, ma sœur, mon père et ma mère, et aussi de longues heures de travail [...] Je pense qu’une éthique du travail s’est ainsi instillée en moi ; je n’ai jamais eu le sentiment d’avoir droit à quelque chose, même encore aujourd’hui. [...] L’architecture est arrivée par hasard car je ne pensais pas devenir architecte. [...] Lorsque j’ai finalement débuté en architecture, j’aimais aller me promener et prendre des photos de bâtiments industriels, c’était une recherche, et je regardais toujours attentivement l’environnement. Je n’aimais pas tellement ce que je voyais, hormis les œuvres de Frank Lloyd Wright ou de Schindler, bien sûr, mais l’environnement général n’était pas très sophistiqué. C’était chaotique, sans règle, et je ne sais pas pourquoi j’ai commencé à observer les espaces entre les constructions [...] Dès que je me suis mis à regarder dans cette direction, j’ai commencé à être vraiment intéressé par ce que je voyais. [...]
FM – Tandis que les portes des grandes commandes commencent à s’ouvrir, vous décidez de travailler avec des artistes, de retourner aux origines, aux premiers éléments du langage. Vous vous intéressez aux minimalistes, à Rauschenberg et à Jasper Johns, puis à la scène artistique de L. A. et vous modifiez complètement votre langage, vos expérimentations architecturales, pour trouver de nouvelles racines.
FG – Je crois que j’étais attiré par cela parce que je ne me sentais pas à l’aise avec ce qui se développait alors en architecture. J’aime Schindler. J’aimais ce qu’il faisait, mais je ne voulais pas le copier pour autant. Je ne voulais pas faire la même chose. Une bonne partie de ma formation, je crois, vient de l’influence asiatique en Californie, qui était très puissante, nettement plus que ce que pensent beaucoup de gens quand ils parlent d’architecture californienne. [...] Mes premières petites réalisations donnaient l’impression que j’étais un architecte... japonais, parce que j’utilisais un langage accessible à une mentalité liée à la maison de lotissement. En fait, vous pouviez construire vous-même ces maisons en bois. [...]
FM – [...] vous avez commencé à fabriquer des meubles à partir de matériaux très pauvres. Est-ce que l’on pourrait parler comme Wright, d’une nouvelle naturalisation de la cité, dans l’utilisation des matériaux tels qu’ils sont ? [...]
FG – C’est peut-être aussi une sorte d’hommage à Don Quichotte : c’est fou, mais si vous jouez assez longtemps avec quelque chose, vous pouvez vous en servir et faire que des choses se produisent, comme chez Rauschenberg et ses assemblages.
Aurélien Lemonier – Pourrait-on parler de manière contextuelle de travailler ?
FG – Oui, c’est ça. Mais c’est un contexte humain. C’est contextuel à ce que nous sommes, à ce que nous produisons, à ce que nous fabriquons, c’est normal. C’est juste une réalité. [...] C’est accepter cette réalité : la façon, les gens avec lesquels je dois travailler. Comment vais-je faire de ce projet quelque chose de spécial ? Comment puis-je m’emparer de cette réalité et la transformer en quelque chose de positif ? C’est comme au jiujitsu. L’idée du jiujitsu est que vous utilisez la force de l’autre pour le bousculer et gagner. [...]
AL – Pourriez-vous expliquer le concept du « One room building », le « bâtiment d’une seule pièce », qui date de la même période que votre maison ? C’est un concept très puissant.
FG – Il vient de Philip Johnson. [...] Il a donc donné une conférence, mais je ne suis pas certain d’y avoir assisté, je crois que j’en ai lu le texte plus tard. Cette conférence parlait du « One room building ». J’essayais alors de trouver comment arriver à l’essence des choses, comme mes amis peintres. À quoi pense Jasper quand il fait son premier geste ? La clarté, la pureté de ce moment est difficile à atteindre en architecture. Lorsque Philip a donné cette conférence, je me suis dit que c’était ça. Le « One room building » peut être n’importe quoi, puisque sa fonction est simplement de protéger de la pluie, mais il ne possède aucune complexité inhérente qui, fonctionnellement, le rende opératif. C’est pourquoi les églises ne sont que de superbes espaces, et l’on atteint là à l’essence, du moins c’est ce que j’ai pensé... C’est à ce moment que j’ai fait cette petite maison, ces maisons de villages que j’ai réunies parce que je n’avais pas beaucoup de travail et que je voulais faire autant de « One room building » que je pouvais. [...]
AL – La faculté de droit de la Loyola University a été le premier programme important à expérimenter cette idée à plus grande échelle ?
FG – Cette faculté de droit était un projet intéressant car le campus de l’université Loyola est un très bel endroit, en haut d’une colline qui domine l’océan. C’était un petit orphelin, réfugié dans le centre de L.A. [...] L’université ne disposait que d’un budget très serré. Je les ai interrogés sur leurs aspirations.
Ils voulaient bien sûr un superbe campus, mais n’en avaient pas les moyens. Ils avaient besoin d’un lieu sécurisé, donc, d’une certaine façon, d’un lieu que l’on peut fermer. Ils voulaient une identité, ce qui est logique, ils n’avaient pas envie d’avoir l’air d’un pauvre orphelin. Le premier bâtiment construit pour eux, la bibliothèque, n’avait fait qu’empirer les choses, parce qu’elle n’était pas très réussie, hors d’échelle et peu accueillante. Je leur ai donc parlé, parlé du droit, de ce qui était important. Par pure coïncidence, je venais de visiter Rome, le Forum et le temple de Castor et Pollux, que je connaissais déjà, mais de le voir m’a fait réaliser qu’il ne fallait pas beaucoup d’éléments pour exprimer quelque chose sur le droit. Il ne fallait pas grand-chose ; deux ou trois colonnes et un petit linteau. [...]
FM – Pour en venir à vos premières expérimentations avec l’ordinateur... [...] Votre façon de dessiner est devenue absolument iconique, de quelle manière procédez-vous ?
FG – Selon moi, les dessins tiennent davantage à la continuité, ils font la globalité, ils essaient de tout réunir, comme dans une action qui se développe. À un certain moment, c’est fait. J’aime l’idée de continuité, mais d’une continuité totale et ambiguë, si l’on veut. J’ajoute quelques autres petites choses pour le plaisir. [...] Une fois que j’ai compris les possibilités de cette technologie, qu’elle allait se répandre partout et que tout le monde allait dessiner sur ordinateur, que l’on n’allait plus faire de croquis ni de maquettes, pour dessiner directement, j’ai voulu essayer à mon tour. Je voulais voir ce que cela signifiait, ce que ces logiciels pouvaient faire et j’ai eu la chance d’avoir auprès de moi quelqu’un qui savait s’en servir, ce qui n’était pas mon cas. Il était assis à côté de moi, j’ai fait une maquette en toile, puis nous l’avons intégrée dans l’ordinateur. J’ai détesté l’image sur l’écran. L’image d’ordinateur est sans vie, froide, horrible. J’ai manipulé ces formes avec lui, en lui montrant du doigt sur l’écran ce que je voulais. Je dessinais presque sur l’écran pour lui et il me suivait. Techniquement, il était vraiment excellent. Faire passer l’image de mon cerveau à cette chose sur écran, paraissait vraiment... je ne sais pas comment dire. Un peu comme être chez un dentiste sans anesthésiant. Cela faisait mal. Je ne pouvais pas le supporter et je me suis même enfui de la pièce. Quelqu’un avait même chronométré que je n’étais resté que 3 minutes 40 devant l’écran. Mais c’est comme ça qu’est apparue la tête de cheval.
FM – Vous veniez d’inventer l’idée de computation générative ? [...]
FG – C’est ça. Mais ce qui se produit maintenant est que le monde, pour revenir à Cervantes, finit par tout abîmer. Ce qui est un outil étonnant offert à l’architecte est devenu une béquille et beaucoup de ceux qui l’utilisent laissent finalement l’ordinateur dessiner, concevoir leurs formes. Chaque logiciel a sa signature ; si vous utilisez mes logiciels, vous pouvez les reconnaître. [...] Cela pour revenir à mes dessins, mes dessins possèdent une complexité. Je peux faire un dessin facilement, d’un simple trait. Mais vous avez plus de puissance, de possibilités, quand vous utilisez l’ordinateur, vous passez facilement à une petite échelle qui vous permet de faire des dessins plus précis, plus fins. Une fois que vous maîtrisez la petite échelle, vous pouvez passez à la grande, mais vous avez plus de liberté. En d’autres termes, vous mettez l’ordinateur au service de votre propre créativité, vous ne le laissez pas devenir le créateur. Je ne sais pas comment expliquer autrement ce processus de travail. [...]
FM – Il a été particulièrement efficace quand vous avez croisé les deux projets que vous réalisiez à cette époque, le Walt Disney Concert Hall et le musée Guggenheim, la manipulation due à l’ordinateur disparaissait un peu, mais la singularité des bâtiments était conservée.
FG – Oui, mais je fais encore confiance à la technique de la maquette pour construire parce que c’est un rapport direct entre la main et l’objet. Je ne fabrique pas mes maquettes, mais c’est plus direct. Je travaille avec mes collaborateurs, et c’est en quelque sorte plus personnel. Lorsque vous, vous pouvez mettre les données dans la machine, et maintenant vous pouvez le faire, tout mettre dans la machine, appuyer sur un bouton et vous avez une maquette en 3D, un rendu en 3D, c’est totalement impersonnel, terrifiant. [...]
FM – Après le Guggenheim, vous avez réalisé un autre projet. [...] De l’assemblage à la fusion d’éléments, pour aller vers la complexité de cette idée un peu chaotique de l’architecture, vous semblez maintenant revenir à l’unité. Dans votre immeuble new-yorkais (Beekman Tower), le plus récent, vous revenez aux typologies classiques, de manière très complexe. [...] Comment cela s’est-il produit, comment en êtes vous venu à remettre de nouveau en question l’identité du bâtiment ?
FG – [...] Je pense que cela dépend de l’échelle. [...] Dans le domaine des tours de grande hauteur, les modèles sont là, tout a été fait, tout a été pensé, tout a été modélisé et construit dans le monde ; toutes ces tours se ressemblent. Ce qui me semblait manquer, à New York, était une tour qui ne soit pas une copie, ne soit pas une copie historique, mais qui dise avant tout : « New York !». Si vous la voyez, vous savez qu’elle ne peut être qu’à New York. Je répondais en fait au Woolworth Building, une icône précieuse s’il en est. [...] Quel que soit le problème de la décoration du Woolworth, c’est à cette tour que je répondais, mais sans passer par la décoration, en faisant quelque chose d’utile à l’immeuble, et c’est comme ça que la baie vitrée m’a semblé une idée intéressante. J’y ai beaucoup réfléchi. Je recherchais ce qui pourrait faire l’essence de cette tour. Certains confrères font des choses assez folles avec les tours, mais j’étais à la recherche de l’essence de ce type même. Je cherchais une idée, un mouvement, je recherchais quelque chose tel le Woolworth, avec sa décoration du 19e siècle et son échelle. C’est cela qui m’intéressait. J’étais en dialogue avec la tradition de New York, et j’allais utiliser ce « truc », appelez-le comme vous voulez, de la baie vitrée. [...] Je pensais au Bernin. Je pensais à L’Extase de sainte Thérèse et à ces plis merveilleux. Pour moi, ils sont très architecturaux. Michel-Ange dessine des plis tout en douceur, ceux du Bernin sont plus anguleux. J’ai réalisé un petit croquis, puis j’ai demandé à une jeune fille de Princeton qui était à l’agence si elle connaissait la différence entre les plis du Bernin et ceux de Borromini. « Oui » me répondit-elle. « Alors, faites moi des lignes avec des plis du Bernin », lui ai-je alors demandé et elle a fabriqué une petite maquette. Ça a marché, et c’est ce que nous avons construit. [...]
FM – C’est une sorte d’idée entièrement nouvelle de l’histoire parce que vous citez le Bernin et des exemples principalement tirés de la période du maniérisme au baroque, face à l’idée traditionnelle de la perspective. C’est une sorte de critique permanente de l’histoire. Vous avez changé toutes les disciplines de l’ingénierie architecturale... [...]
FG – J’espère au moins que c’est bien [rires]. Je pense que vous en revenez à ce qu’a été pour moi la lecture du Talmud : pourquoi est-ce que cela doit être de cette façon ? Donc je regarde l’histoire. J’essaye de comprendre ce que pensaient les artistes, pourquoi ils ont fait ce qu’ils ont fait, comment cela s’est produit. [...] C’est ce que je recherche dans l’histoire, ces touches d’humanité, ce qui s’est produit du fait de la technologie alors disponible. J’essaye alors de dire : « Nous disposons d’une nouvelle technologie, de nouveaux outils, comment ne pas perdre cette humanité, cette pensée ». [...]
BIOGRAPHIE Repères chronologiques
1929 - Naissance à Toronto, Canada.
1947 - Frank Gehry s’installe avec sa famille à Los Angeles, Californie.
1954 - Il obtient son diplôme d’architecture à l’University of Southern California, Puis il étudie l’urbanisme à la Graduate School of Design de l’Université d’Harvard. Il rejoint ensuite différents cabinets d’architecture de Los Angeles, comme Pereira and Luckman Associates ou encore Victor Gruen.
1961 - Frank Gehry s’installe à Paris et travaille dans le cabinet d’André Rémondet.
1962 - De retour en Californie, il ouvre sa propre agence à Santa Monica (aujourd’hui Gehry Partners, LLP).
À la fin des années 1970 - la « Gehry House », sa propriété de Santa Monica - mélange de matériaux, de juxtapositions et d’imbrication des espaces - devient un manifeste de sa pratique architecturale. Dans le même temps, il débute sa réflexion sur une série de meubles en carton Experimental Edges.
1978 - Naissance du projet de la Loyola Law School de Los Angeles que Frank Gehry développera par étapes sur plusieurs années.
1989 - Frank Gehry reçoit le prestigieux Prix Pritzker d’Architecture. Il inaugure le Vitra International Furniture Manufacturing Facility and Design Museum à Weil-am-Rhein en Allemagne (1987-1989).
1991 - Le Centre Pompidou lui consacre une exposition Frank O. Gehry : Projets en Europe.
1992 - Il reçoit le Prix Praemium Imperiale en architecture. Il débute la construction du Nationale-Nederlanden Building à Prague (1992-1996).
1993 - Inauguration du Frederick R. Weisman Art and teaching Museum de Minneapolis (1991-1993).
1997 - Inauguration du Musée Guggenheim de Bilbao (1991-1997) qui lui octroie une renommée mondiale.
2001 - Le Musée Guggenheim de New York lui consacre une rétrospective Frank Gehry, Architect.
2003 - Le Wall Disney Concert Hall est inauguré à Los Angeles et devient l’un des bâtiments phares de la ville.
2005 - Le réalisateur Sidney Pollack réalise « Esquisses », film documentaire biographique retraçant le travail de l’architecte à travers ses grandes réalisations.
2006 - Frank Gehry commence à travailler sur le projet du musée Guggenheim Abu Dhabi.
2007 - Lancement du chantier de la Fondation LUMA à Arles.
2008 - Frank Gehry se voit décerner le Lion d’or de la Biennale de Venise pour l’ensemble de ses œuvres.
2011 - La Tour 8 Spruce Street est inaugurée à New York et devient l’un des emblèmes de la ville.
octobre 2014 - La Fondation Louis Vuitton sera inaugurée à Paris.
Prix internationaux
Les œuvres de Frank Gehry lui ont valu les prix les plus prestigieux dans le domaine de l’architecture. Il devient membre de la Confrérie de l’Institut Américain des Architectes en 1974. Les réalisations architecturales de l’architecte ont été récompensées par plus de cent prix nationaux et régionaux décernés par cet Institut.
En 1977, Frank Gehry est lauréat du Prix Arnold W. Brunner d’architecture de l’Académie Américaine des Arts et des Lettres.
En 1989, il reçoit le Prix Pritzker d’Architecture pour « sa très grande contribution à l’humanité et à l’urbanisme ».
En 1992, il reçoit le Prix Artistique Wolf de la Fondation Wolf. La même année, il est désigné lauréat du Praemium Imperiale décerné par l’Association Japonaise des Arts en « honneur à sa remarquable contribution au développement, à la vulgarisation et au progrès des arts ».
En 1994, il est le premier lauréat du Dorothy et Lillian Gish Award en récompense à l’ensemble de sa carrière consacrée aux arts. La même année, il est fait académicien par la National Academy of Design.
En 1998, il est nommé académicien honoraire par l’Académie Royale des Arts. La même année, il reçoit la Médaille Nationale des Arts et devient le premier lauréat du Prix Friedrich Kiesler.
En 1999, il reçoit la Médaille du Mérite du Lotos Club, ainsi que la Médaille d’Or de l’Institut Américain des Architectes.
En 2000, l’Institut Royal des Architectes Britanniques lui décerne la Médaille d’Or, et il reçoit l’Award pour l’ensemble de ses œuvres de l’Association Americans for the Arts.
En 2002, Frank Gehry reçoit la Médaille d’Or d’Architecture de l’Académie Américaine des Arts et des Lettres. Il est nommé membre de l’Académie Américaine des Arts et des Lettres en 1987, administrateur de l’Académie Américaine à Rome en 1989, et Membre de l’Académie Américaine des Arts et des Sciences en 1991.
En 2003, il entre à l’Académie Européenne des Sciences et des Arts et devient Compagnon de l’Ordre du Canada.
En 2005, il est fait Chevalier de l’Ordre National de la Légion d’honneur par le gouvernement français.
En 2006, il devient le premier lauréat de la California Hall of Fame.
En 2008, Frank Gehry se voit décerner le Lion d’Or à la Biennale de Venise pour l’ensemble de ses œuvres.
En 2010, il se voit décerner le Prix John Singleton Copley par l’American Associates for the Royal Academy Trust, et reçoit le prix de la Cooper Union de New York pour la Promotion des Sciences et des Arts.
En 2014, il reçoit le prix Prince des Asturies pour les Arts.
Frank Gehry a été fait docteur honoris causa de l’Occidental College, du Whittier College, de l’École Supérieure des Arts et Métiers de Californie, de l’Institut Universitaire de Technologie de Nova Scotia, de l’École de Design de Rhode Island, de l’Institut Californien des Arts, de l’Institut d’Architecture de Californie du Sud, de l’Institut des Arts Otis de l’École de Design de Parsons, de l’Université de Toronto, de l’Université de Californie du Sud, de l’Université de Yale, de l’Université de Harvard, de l’Université d’Edimbourg, de l’Université Case Western Reserve et de l’Université de Princeton.
Frank Gehry a enseigné dans des plus prestigieuses institutions dans le monde, notamment à l’Université de Harvard, à l’Université de Californie du Sud, à l’Université de Californie de Los Angeles, à la Sci-Arc, à l’Université de Toronto, à l’Université de Columbia, à l’Institut Fédéral de Technologie de Zurich, et à l’Université de Yale où il enseigne encore aujourd’hui.23
RÉALISATIONS
Parmi ses grandes réalisations :
· le Musée Guggenheim à Bilbao
· l’extension du Musée des Beaux-Arts Frederick R. Weisman à l’Université du Minnesota
· le Nationale-Nederlanden Building à Prague
· l’immeuble de la DZ Bank à Berlin
· le Centre des Arts du Spectacle Richard B. Fisher au Collège Bard à Annandale-on-Hudson, à New York
· le Centre de Maggie, unité de cancérologie de Dundee, en Écosse
· le Walt Disney Concert Hall de Los Angeles, en Californie
· le Pavillon Jay Pritzker et le Pont BP du Millénium Park à Chicago, en Illinois
· l’Hôtel Marqués de Riscal à El Ciego, en Espagne
· la transformation du Musée des Beaux-Arts de l’Ontario à Toronto, en Ontario
· la Librairie des Sciences Peter B. Lewis à Princeton, dans le New Jersey
· l’Institut Lou Ruvo de Recherche sur le Cerveau à Las Vegas, dans le Nevada
· le Musée Ohr O’Keefe à Biloxi, dans le Mississippi
· le Nouveau Campus pour la Symphonie du Nouveau Monde à Miami, en Floride
· la tour résidentielle de 8 Spruce Street à New York · la tour résidentielle Opus à Hong Kong
· le Théâtre Signature à New York
· la Maison de la Fondation Make it Right à la Nouvelle-Orléans, en Louisiane.
En cours de réalisation :
· le Musée Guggenheim d’Abu Dhabi
· la Fondation LUMA à Arles
· le Divan Orchestra de Berlin
· le Mémorial Eisenhower à Washington, D.C.
· le développement du quartier de King Street à Toronto, dans l’Ontario
· le Musée des Beaux-Arts de Philadelphie
· le Q-MOCA à Quanzhou, en Chine
· le Campus Ouest pour Facebook à Menlo Park, en Californie.
Informations pratiques :
Centre Pompidou 75191 Paris cedex 04 téléphone 00 33 (0)1 44 78 12 33 métro Hôtel de Ville, Rambuteau
Horaires
Exposition ouverte de 11h à 21h tous les jours, sauf le mardi
Tarif
11 à 13 €, selon période tarif réduit : 9 à 10 € Valable le jour même pour le Musée national d’art moderne et l’ensemble
des expositions Accès gratuit pour les adhérents du Centre Pompidou (porteurs du laissez-passer annuel)
Billet imprimable à domicile www.centrepompidou.fr