La Faute-sur-Mer, la Faute à qui ?
Petit rappel d’une triste réalité, celle d’une naïveté ardente et aveuglante née de l'âpreté des hommes qui cherchent à posséder plus qu’ils n’ont. Vu du ciel, une bande de sable arrachée à l’océan formée au XVIIe siècle constituant une langue de terre vers le sud de la côte de la Tranche-sur-Mer et en complétant l’ancien débouché du Lay au niveau du lieu-dit La Belle-Henriette, une suite de dunes que l’homme au-dessus des lois naturelles s’est appropriée, occultant ainsi les risques d’une catastrophe.
Et la jeune histoire de la Faute (1829) est jalonné de faits qui auraient du alerter les hommes.
Au contraire l’ignorance a causé, le 28 février 2010, 29 victimes à pleurer uniquement sur le sol de cette commune.
Le 27 octobre 1882, une marée de coefficient important cause de très graves dégâts aux digues des prises de La Faute-sur-mer, et trois d'entre elles sont submergées par les eaux de la mer.
Le 21 mars 1928, à la suite d'une marée de coefficient 110, accompagnée de vents violents de sud ouest, le bourg de La Faute-sur-mer est réduit à une île, les secteurs de la Vieille Prise et de la Jeune Prise (à proximité de l'actuel barrage du Braud) étant submergés (sur 120 hectares environ). Le journal L'Ouest-Éclair écrit le 25 mars 1928, sous le titre "Une partie du littoral vendéen menacé par la mer" (l'article est accompagné de photos) :
« Plus de 120 ha ont déjà été gagnés par les eaux. Mais le village de La Faute-sur-Mer, au sujet duquel on avait de sérieuses craintes, paraît momentanément, grâce aux travaux de fortune exécutés, hors de danger. (...) La mer a creusé un chenal dans la dune où la première brèche fut ouverte. La gendarmerie, par mesure de sécurité, en éloigne les curieux, en raison des éboulements de sable sur la rive gauche du Lay. Plus de 450 habitants des communes de L'Aiguillon, Grues et Saint-Denis ont été alertés pour la surveillance de la digue du Fenouillet qui protège 7 000 hectares. L'anxiété est moins grande à La Faute, mais que réservent les prochaines grandes marées et à quand l'exécution d'un projet de défense sérieux ? »
À la suite de cet événement, la construction d'une digue le long de l'actuelle RD 46, à la hauteur de la Belle-Henriette, est entreprise.
Le 14 mars 1937, une tempête avec vents violents conjuguée à une forte marée d'équinoxe provoque une brèche dans la digue de protection du hameau de la Faute et des digues de l’Aiguillon-sur-mer et de Triaize. La submersion menace les secteurs habités de la Faute.
Le 16 novembre 1940, une marée de coefficient 88 provoque la submersion de très nombreuses digues du front de mer et l'inondation des terres dans les communes de Saint-Michel-en-l’Herm, La Tranche-sur-Mer, L'Aiguillon-sur-Mer et La Faute-sur-Mer, Champagné-les-Marais et Triaize.
Et une certaine nuit, celle du 27 au 28 février 2010, le vent Xynthia se lève et l’océan ira s’engouffri dans une dépression à un mètre sous le niveau de la mer, en contrebas de la digue du fleuve côtier Lay. 29 pertes humaines et 20% du territoire construit démoli.
Xynthia, quatre ans plus tard et les insuffisances des politiques publiques
Alors s’est ouvert le procès de la Faute, la faute à qui ? au Maire ? à la première maire adjointe ? au deux de ses adjoints, chargés de l’urbanisme et des travaux ? au directeur départemental adjoint des territoires et de la mer de la Vendée ?
Ce procès doit pourtant élucider les travers urbanistiques de cette tragédie. Les avocats du maire, Didier Seban et Matthieu Hénon, ont tenté d’expliquer les enjeux de ce procès, sur lagazette.fr
Les arguments du procureur ?
La commune n’aurait pas mis en place son plan de prévention du risque d’inondation (PPRI) et son plan communal de sauvegarde (PCS). Le maire n’aurait pas non plus répondu à son obligation de mise en place de repères de crue. On lui reproche également de ne pas avoir réalisé de document d’information sur les risques majeurs (DICRIM), ni de diagnostic de vulnérabilité des habitations. Le maire n’aurait pas informé les propriétaires de digues de la survenance de la tempête. M. Marratier aurait illégalement délivré des permis de construire en zone inondable et insuffisamment informé la population des risques lors de la survenance de la tempête. Le chef d’incrimination retenu est « homicide involontaire et mise en danger de la vie d’autrui ».
Chefs d’accusation lourds…
L’affaire est dramatique, mais il faudrait éviter que le maire ne serve de bouc émissaire et masque toute la chaine de responsabilités, notamment administratives. M. Marratier, maire depuis de nombreuses années, avait le sentiment d’avoir fait tout ce qu’il pouvait pour développer sa commune, la rendre touristique et attrayante sans jamais compromettre la sécurité de ses habitants. Il reconnait n’avoir pas eu conscience de la gravité du risque et met en avant qu’il n’y avait jamais eu de catastrophe de ce type et de cette ampleur. Peut-on reprocher au maire d’une petite commune de ne pas avoir pris conscience du risque alors que les services de l’Etat dans leur ensemble n’ont pas su anticiper et alerter ?
Les arguments de la défense ?
La mise en place de PPRI est ordonnée par le préfet. Les permis de construire avaient été instruits par la DDE, la commune n’en n’ayant pas les moyens, avec un seul cadre de catégorie A. Le maire indique qu’il s’est toujours conformé à l’avis des services de préfecture. Ce procès montre que la France n’a pas pris de véritables mesures face aux risques climatiques. Il montre aussi que les communes vivent dans un cadre réglementaire lourd qui leur impose des obligations qu’elles ne sont pas toujours en mesure de respecter. 90 % des communes de Vendée n’avaient pas de plan communal de sauvegarde ! On reproche ainsi aux maires des défaillances alors qu’ils ne sont pas en mesure de mettre en œuvre une règlementation protéiforme et contradictoire dans un contexte de désengagement massif des services de l’Etat. Sur les questions de risques naturels, il y a besoin d’un retour en force de l’Etat et d‘une expertise à l’échelle nationale.
Le drame était-il prévisible ?
Certains experts voudront l’établir. Mais encore une fois, le maire d’une petite commune peut-il en être tenu responsable ? Certes, il y avait déjà eu des inondations mais les dernières significatives remontent à la Seconde Guerre mondiale et elles n’avaient pas causé de morts. Face à l’urbanisation du littoral et la pression foncière excessive, les maires des petites communes apparaissent bien seuls, et peut être parfois trop proches de leurs administrés au regard de certaines décisions. Il faut s’interroger, dans les zones où des risques naturels élevés existent, sur un éventuel éloignement des centres de décisions par rapport aux administrés.
Le procès des services de l’Etat et de la sur-réglementation ?
Dans le drame de La Faute-sur-Mer, on reproche au maire de ne pas avoir informé les populations. Mais l’alerte donnée par le préfet à la population demandait aux habitants de rester chez eux, ce qui s’est révélé dramatique. Le rapport parlementaire sur Xynthia pointe les défaillances de l’Etat. On ne sait pas tirer les conséquences, au niveau local, des bulletins météo pour les traduire en décisions opérationnelles. Les services de secours n’étaient absolument pas mobilisés pour un risque de submersion marine. Le centre de secours de La Faute a été le premier inondé et ses communications coupées. De façon générale, la culture du risque n’existe pas en France.
Quels enseignements ?
Il faudrait que l’on s’aperçoive qu’en matière de risque de submersion, et pour toutes les petites communes littorales, c’est à l’Etat de prendre la main : il a seul la capacité de mobiliser à grande échelle. Il s’agit de risques qui dépassent la compétence d’une seule mairie. Le drame révèle aussi la question de la gestion des digues, qui dépendent de syndicats de propriétaires éprouvant de grandes difficultés à lever des fonds pour leur entretien et à mettre en œuvre des plans de rénovation. Le procès est donc important à maints égards : il concerne la prévention, le risque climatique, l’organisation des services de l’Etat. Il appelle à une action collective. Tous les acteurs devront savoir tirer le bilan de ce drame, revoir les procédures et aller au-delà de la volonté de se protéger du risque pénal.