Pour limiter l’impact des crues restaurer les annexes hydrauliques de la Loire et de ses affluents…
Issu des rapports de l’ONEMA, office national de l’eau et des milieux aquatiques, la publication d’une note sur la restauration des annexes hydrauliques de la Loire et de ses affluents s’inscrit dans le cadre de plusieurs objectifs.
• Restaurer la capacité d’écoulement du lit pour limiter l’impact des grandes crues
• Redéployer l’énergie du fleuve dans les chenaux secondaires pour enrayer le phénomène d’incision
• Restaurer la diversité écologique du milieu fluvial
■ Le milieu et les pressions
La Loire, avec ses 1 013 km de long, est le plus long fleuve de France. Elle prend sa source au Mont Gerbier des Joncs, dans le département de l’Ardèche. Son bassin versant avoisine les 115 000 km2.
Endiguée à partir du XIIe siècle pour protéger les populations de son régime hydrologique irrégulier, la Loire a longtemps été le support d’une navigation de commerce importante jusqu’au milieu du XIXe siècle sur la majeure partie de son cours. Cette activité a généré l’installation d’ouvrages de chenalisation du lit de navigation qui subsistent encore aujourd’hui malgré leur désuétude. À partir de la fin du XIXe siècle, de grands complexes hydroélectriques sont édifiés sur les principaux affluents de la Loire (Vienne, Creuse, Allier...). Par la suite, le lit mineur de la Loire et de ses affluents connaît une forte activité d’extraction de ses sédiments, entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et les années 90.
Malgré l’endiguement de son lit, la Loire, dans son cours moyen, dispose d’un espace de mobilité assez étendu (largeur du lit endigué par rapport au lit mineur).
Les extractions de granulats conjuguées à la chenalisation ont provoqué un enfoncement généralisé de son lit et de celui de ses affluents – de l’ordre de 1 m à l’étiage en Loire moyenne – particulièrement prononcé au voisinage des grosses agglomérations. Cet enfoncement peut atteindre 3 m en basse Loire ou sur certains tronçons de l’Allier. Il contribue à modifier l’équilibre du fleuve et conduit à la végétalisation accélérée des chenaux secondaires et des annexes hydrauliques. En d’autres termes, des annexes qui étaient en eau toute l’année sont désormais à sec six mois par an. Perchés au-dessus des niveaux moyens, les marais et les annexes hydrauliques ne restent plus assez longtemps inondés pour permettre la reproduction des poissons. Les frayères, conservant malgré tout des conditions d’inondations intéressantes, sont fréquemment isolées par des atterrissements qui apparaissent à l’aval des annexes et s’amplifient sous l’effet de l’incision du cours principal.
Les bras secondaires sont de plus en plus souvent à sec en période d’étiage. Ils perdent ainsi leur fonction de nurserie. Mal activés en eau moyenne, ils offrent un terrain propice à l’implantation de la végétation ligneuse. Le développement de la saulaie-peupleraie favorise l’atterrissement et le processus s’accélère jusqu’à la fermeture totale du milieu.
Le comblement des annexes hydrauliques est un phénomène naturel, mais qui est grandement amplifié, de façon indirecte, par l’incision du lit majeur de la Loire et de ses affluents.
■ Les opportunités d’intervention
La prise de conscience de ce déséquilibre fluvial a lieu à la suite de l’effondrement spectaculaire du Pont Wilson à Tours en 1978, révélateur des impacts hydromorphologiques des extractions de granulats sur le lit de la Loire et sur les autres fleuves. L’arrêt définitif des extractions et le début des travaux de restauration du lit de la Loire ont eu lieu au cours de la première phase du «plan Loire grandeur nature» (PLGN) lancé lors du comité interministériel de l’aménagement et du développement du territoire (CIADT) du 4 janvier 1994.
Ce plan initié par l’État, l’Établissement public Loire, les régions et l’Agence de l’eau Loire-Bretagne correspond à la mise en œuvre «d’un plan global d’aménagement de la Loire afin de concilier la sécurité des personnes, la protection de l’environnement et le développement économique».
En phase avec les orientations du SDAGE, la première phase du plan Loire réservait une place importante à la restauration des annexes hydrauliques dans un souci de convergence entre les objectifs de restauration de la capacité écoulement des crues à l’intérieur du lit endigué et la restauration d’habitat naturels fonctionnels dans un espace particulièrement riche sur le plan environnemental.
Ces opérations étaient traitées dans deux programmes différents :
- pour les sites relevant du domaine public fluvial de la Loire et de l’Allier, les opérations étaient principalement menées dans le cadre du programme de restauration du lit, sous la conduite et la maîtrise d’ouvrage de l’État ;
- pour les autres affluents ou sur les terrains privés des rives de la Loire et de l’Allier, les actions étaient menées dans le cadre d’un autre chapitre du plan Loire : le programme de restauration des milieux naturels. Dans ce cas, la maîtrise d’ouvrage était souvent assurée par les fédérations départementales pour la pêche et la protection du milieu aquatique (FDPPMA) ou par des collectivités locales.
■ Les travaux et aménagements
Une équipe pluridisciplinaire «plan-Loire» ainsi qu’une cellule «plan-Loire» du Conseil supérieur de la pêche (CSP devenu Onema depuis 2007) ont été créées afin d’aider et de conseiller les maîtres d’ouvrage dans la restauration des annexes hydrauliques de la Loire et de ses affluents.
Les travaux consistent à recaler les seuils de connexion aval entre le chenal principal et l’annexe hydraulique au niveau de la ligne d’eau dépassée au printemps durant 45 jours, une année sur cinq. Pour les frayères à brochets de la Loire moyenne, les projets de remise en communication sont souvent calés au voisinage de la ligne d’eau du débit moyen interannuel (module). Compte tenu de l’abaissement de la nappe et de l’absence d’entretien, il est généralement nécessaire d’éclaircir le couvert végétal des anciens chenaux pour rétablir des conditions d’ensoleillement favorables au développement de la strate herbacée et à la production biologique. Les travaux consistent à traiter soigneusement la ripisylve, en respectant son équilibre général, mais aussi son rôle dans la composition des habitats aquatiques. Les techniques préconisées sont celles du guide méthodologique mis au point pour l’entretien du lit de la Loire et de l’Allier (Diren Centre /Imacof).
■ La démarche règlementaire
En complément de la réglementation au titre de la loi sur l’eau de 1992, une attention particulière a été prise pour l’identification des espèces protégées présentes sur les sites et nécessitant l’obtention d’une dérogation (déplacement et/ou destruction d’espèces protégées) auprès des services de l’État compétents.
■ La gestion
Les maîtres d’ouvrage ou gestionnaires des sites restaurés sont encouragés à réaliser un entretien des sites après restauration. Cet entretien peut s’inscrire dans le cadre d’un contrat territorial du milieu aquatique.
En général, l’entretien des annexes hydrauliques consiste à enlever des arbres tombés en travers, à arracher des ligneux qui se développent dans l’annexe, à enlever les encombres qui peuvent s’accumuler ou encore à reprendre ponctuellement le nivellement de certaines connexions avec le milieu principal qui se sont refermées sous l’effet de dépôts sédimentaires.
■ Le suivi
Vingt-trois annexes hydrauliques ont fait l’objet d’un diagnostic végétal et/ou piscicole en 1998 pour définir les interventions à mener. En fonction des objectifs recherchés et compte tenu de l’état des lieux et des contraintes, cette étude préalable a abouti à la définition et à la localisation des objectifs ainsi qu’au calage hydraulique des interventions.
De façon plus complète, un suivi pluridisciplinaire a été mis en oeuvre sur cinq annexes fluviales restaurées de la Loire moyenne.
La physico-chimie, le fonctionnement hydraulique et les compartiments biologiques (invertébrés, zooplancton, poissons et végétation) ont été suivis et analysés en 2002. Les suivis des annexes hydrauliques, par le CSP (devenu Onema), ont pris fin en 2007. Depuis, ils sont pris en charge par les différents maîtres d’ouvrage impliqués dans les opérations de restauration.
■ Le bilan et les perspectives
Les relevés de qualité de l’eau dans les annexes hydrauliques ont permis de mettre en évidence la reconnexion de certaines de ces annexes en relation avec la nappe d’accompagnement ou avec certains apports latéraux.
Dans l’ensemble, la macrofaune benthique est riche (138 taxons) et la végétation est assez homogène, dominée par la baldingère (Phalaris arundinacea).
Sur le plan piscicole, la reproduction a été observée dans chaque annexe fluviale suivie, mais l’hydrologie déficitaire de 2002 a provoqué des très grandes différences de fonctionnement entre les annexes, du fait de leur hétérogénéité morphologique.
Sur la plupart des sites restaurés, la dépose d’œufs et la présence de jeunes brochets ont pu être mise en évidence par trait d’épuisette et pêche électrique durant la période de reproduction, avant la période d’émigration des juvéniles vers le milieu principal.
Le bilan entre le prix de la restauration et le résultat des opérations à long terme est fortement tributaire de l’évolution géomorphologique du milieu. La stabilité morphologique des annexes concernées, ainsi que les phénomènes d’incision ou d’atterrissement à l’échelle du lit et de sa bande active doivent donc être pris en compte avant la définition des interventions. Outre l’arrêt des extractions de matériaux, la réhabilitation des annexes hydrauliques est donc étroitement liée à des actions “ de fond ” consacrées au rétablissement de la dynamique fluviale. À l’intérieur du lit mineur, les travaux de restauration des bras secondaires y contribuent dans la mesure où ils facilitent la remise en mouvement des sédiments en faveur du cours principal. Plus en amont, la préservation de l’espace de liberté de la Loire et de l’Allier relève également de cette démarche systémique. Il s’agit de proposer une alternative économique aux protections de berges pour sauvegarder les zones érodables, notamment à l’amont du bec d’Allier où se situent les principales sources de réalluvionnement.
La restauration des annexes hydrauliques continue, notamment dans le contexte du PLGN III (2007-2013) souvent dans le cadre de contrats territoriaux de milieu constitués d’un ou de plusieurs volets et signés entre agences de l’eau, collectivités territoriales (conseils régionaux et généraux) et maîtres d’ouvrage (collectivités, fédérations de pêche) pour une période déterminée (environ 5 ans).
■ La valorisation de l’opération
Dans le cadre du volet restauration des annexes hydrauliques des contrats territoriaux de milieu passé entre les agences de l’eau, conseils régionaux et généraux ainsi que les maitres d’ouvrages, les opérations réalisées sont présentées à de nombreuses institutions (collectivités, chambres d’agricultures...). Ces présentations se font généralement à l’aide de diaporamas et d’une visite d’un site restauré, à laquelle la presse écrite et télévisuelle est conviée.
Des panneaux d’information et des plaquettes sont également réalisés et diffusés à un large public afin de sensibiliser aux enjeux de la restauration des annexes hydrauliques.
Beaucoup d’acteurs de la restauration de ces milieux participent à des manifestations organisées régulièrement. Par exemple, la FDPPMA d’Indre-et-Loire a présenté son contrat territorial de milieu pour la restauration et l’entretien des annexes hydrauliques de la Loire et de la Vienne, lors des 9es rencontres Val de Loire à Tours en décembre 2010.
Ces actions ont également été valorisées pour les 10 ans de l’inscription de la Loire au Patrimoine mondial de l’Unesco à Tours en octobre 2012.