Des stériles radioactifs dans un camping !
Depuis début juillet 2014, la CRIIRAD effectue des démarches pour obtenir la décontamination du camping du Parc de Guibel, situé à Piriac-sur-Mer, en Loire-Atlantique. Une partie des allées ont en effet été construites à l’aide des stériles radioactifs provenant d’une mine d’uranium située à proximité (mine de PEN AR RAN).
Le site avait été identifié comme présentant un niveau d’irradiation anormalement élevé lors de relevés héliportés effectués en septembre 2010 par AREVA. Il a fallu attendre octobre 2012, soit plus de 2 ans, pour que des vérifications soient effectuées au niveau du sol et encore un an, soit novembre 2013, pour qu’AREVA rédige un rapport d’intervention concluant à la nécessité d’intervenir (le seuil imposant la mise en œuvre de travaux de décontamination est en effet largement dépassé). Malgré ce constat, la saison estivale 2014 a commencé sans que rien n’ait changé sur le terrain.
Informée par des correspondants locaux, la CRIIRAD a procédé aussitôt à l’analyse des documents AREVA et adressé dès le 9 juillet un courrier au Préfet de Loire-Atlantique avec copie à la DREAL et à l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN). L’objectif était d’obtenir des actions immédiates de vérification et de mise en sécurité (enlèvement ou recouvrement des points chauds les plus irradiants) et des engagements sur la décontamination totale du camping dès la fin de la saison.
Début août, devant le silence des autorités, le Collectif Mines d’Uranium, qui réunit une quinzaine d’associations réparties sur toute la France, décidait le 6 août de publier un communiqué. Depuis lors, plusieurs médias ont rendu compte, de façon très contrastée, de la situation.
Les 12 et 13 août, la CRIIRAD a rédigé deux notes d’information complémentaires.
o La note du 12 août analyse un courrier que l’ASN adresse à AREVA, courrier trouvé le 11 août sur le site http://www.asn.fr, et qui rend compte d’une inspection effectuée le 17 juillet sur le camping conjointement avec la DREAL ;
o la note du 13 août répond aux déclarations d’un représentant d’AREVA publiées par le quotidien Ouest-France dans un article intitulé « « Les vacanciers de Piriac ne sont pas en danger ».
Le quotidien Ouest-France publiait dans son édition des 9-10 août 2014 un article intitulé « Les vacanciers de Piriac ne sont pas en danger ». A la question « Ces éléments sont-ils dangereux pour la santé ? » l’article répondait « non » et donnait, entre autres, la parole à AREVA. Le texte qui suit reprend et analyse les déclarations d’AREVA. Rappelons que cette société est l’ancien exploitant de la mine de PEN AR RAN d’où sont issus les stériles uranifères qui contaminent aujourd’hui le camping (À l’époque AREVA NC était encore COGEMA (Compagnie Générale des Matières nucléaires).
Les déclarations d’AREVA
(extraits de l’article Ouest-France)
« Ces éléments sont-ils dangereux pour la santé ?
Non. Selon Julien Duperray, du service communication d’AREVA, les analyses du 17 juillet ont montré un niveau de radioactivité supplémentaire (0,83 mSv) inférieur à la limite annuelle réglementaire de dose pour le public, qui est de 1 mSv ». Et ce scénario correspond à une exposition de 2 000 heures par an sur le site, soit 83 jours. Une durée rare en camping. »
Nous savons d’expérience qu’il faut être prudent quand il s’agit de réagir à des déclarations publiées dans la presse, y compris lorsqu’elles sont mentionnées entre guillemets. Dans le cas présent, il est cependant très improbable que les propos du représentant d’AREVA aient été déformés. Cela fait des années, et plus exactement des dizaines d’années (A la création de la CRIIRAD, en 1986 et jusqu’au début des années 2000, était visée l’ancienne limite de dose efficace de 5 mSv/an, et depuis lors, c’est la nouvelle la limite de dose qui est mentionnée mais l’argumentation est la même), que nous sommes confrontés à l’argument fallacieux du respect de la limite de dose. Nous devons même nous estimer heureux quand le pseudo-argument émane de l’exploitant car nombreux sont les dossiers où des experts officiels et des représentants de l’État se sont livrés aux mêmes manipulations.
Décrypter la désinformation
Le calcul de dose effectué par AREVA pour le camping du parc de Guibel donne un résultat de 0,83 millisievert (mSv). D’après le service communication de cette société, cette situation n’est pas particulièrement préoccupante puisque cette valeur est inférieure à la limite de dose réglementaire de 1 mSv/an(Il s’agit plus précisément de la limite de dose efficace engagée 4 Hors radioactivité naturelle et expositions médicales).
Ce qu’omet tout d’abord de préciser AREVA c’est que la limite de dose de 1 mSv/an n’est pas définie pour une seule source d’exposition mais pour la dose cumulée de l’ensemble des pratiques ou activités humaines générant une exposition aux rayonnements ionisants. LORSQU’UNE SEULE ACTIVITÉ EST CONSIDÉRÉE, ON NE PEUT PAS INVOQUER LA LIMITE DE DOSE. On doit se référer à ce que l’on appelle une contrainte de dose, fixée évidemment à une valeur très inférieure à la limite de dose de façon à garantir qu’une personne exposée à l’impact de plusieurs activités ne recevra pas sur l’année une dose cumulée supérieure à 1 mSv. La Commission Internationale de Protection Radiolo- gique (CIPR) recommande une contrainte de dose de 0,3 mSv/an pour des pratiques conduisant à des expositions limitées dans le temps et de 0,1 mSv/an lorsque les expositions sont durables.
=> Premier constat, la dose calculée par AREVA est 3 fois à 8 fois supérieure à la limite applicable à une seule source d’exposition.
De plus, la dose calculée par AREVA ne prend en compte que l’exposition externe. Or, là encore, la réglementation est sans ambiguïté : non seulement le calcul de dose doit faire le total de toutes les activités mais il doit aussi, pour chaque activité, prendre en compte LA SOMME DES CONTRIBUTIONS DE TOUTES LES VOIES D’EXPOSITION. Pour le camping du Parc de Guibel, cela signifie qu’il faut ajouter les doses reçues par ingestion de microparticules radioactives (ingestion involontaire, en particulier par les enfants) et par inhalation de poussières radioactives et surtout de radon, un gaz radioactif cancérigène produit en grande quantité par les roches riches en uranium.
=> Deuxième constat, la valeur publiée par AREVA sous-évalue le niveau d’exposition réel. Faute de données, il est impossible d’évaluer l’importance de la sous-évaluation.
Troisième remarque, AREVA considère que son calcul est plutôt conservatoire puisque son calcul est basé sur un temps de présence de 2 000 heures, « ce qui est rare pour un camping ». Il est vrai que les temps de présence des campeurs sont généralement plus courts... mais pas toujours : certaines des personnes qui ont contacté la CRIIRAD ces derniers jours louaient un emplacement d’avril à septembre (soit 3 500 h pour 80% du temps passé in situ). Par ailleurs, il ne faut pas oublier la protection des personnes qui travaillent pendant toute la saison, voire à l’année, sur le camping. Or, en matière de radioprotection, le calcul doit être défini non pas pour un individu moyen mais pour le groupe critique, c’est-à-dire pour les personnes les plus exposées.
=> Troisième constat, contrairement à ce qu’indique AREVA le scénario retenu pour le calcul n’est pas forcément conservatoire.
Quatrième point, ESSENTIEL, la limite de dose invoquée par AREVA ne constitue pas un seuil à partir duquel le risque commence mais le niveau maximum du risque tolérable. De fait, si l’on se base sur les estimations officielles, telles qu’elles figurent dans la publication 103 de la CIPR (Recommandations 2007 de la Commission Internationale de Protection Radiologique, Publication 103), la limite de 1 mSv/an correspond à un risque cancérigène de 1,7.10-4. Cela signifie que si 100 000 personnes sont exposées pendant une année à une dose de 1 mSv, on s’attend à ce que 17 d’entre-elles développent, à terme, un cancer imputable à cette exposition. Au vu de ce niveau de risque, la réglementation est très claire : il ne suffit pas de s’assurer que la limite est respectée. Il faut également faire tout ce qui est raisonnablement possible pour réduire les expositions au maximum en-dessous de la limite. Dans le cas du camping de Piriac, au vu des délais accumulés depuis le repérage de l’anomalie en septembre 2010, une chose est certaine : ni AREVA, ni les autorités n’ont fait tout ce qu’il était raisonnablement possible de faire pour diminuer au maximum l’exposition des campeurs et du personnel. Pour être précis, la réglementation stipule : tout ce qui est raisonnablement possible, compte tenu des facteurs économiques et sociétaux. Le problème est que cet arbitrage est rarement fait en consultant les personnes qui subissent le risque. De fait, si l’on accorde de très larges pouvoirs au pollueur (comme c’est le cas pour la gestion des stériles miniers), il n’est pas étonnant que la défense de ses intérêts économiques prime sur la protection sanitaire de la population ou sur des intérêts économiques tiers (ceux d’un directeur de camping par exemple).
=> Quatrième constat, les déclarations d’AREVA méconnaissent les principes fondamentaux sur lesquels repose le système international de radioprotection.
P.S. : Rappelons pour finir que les autorités françaises ont fixé pour la gestion des stériles uranifères un seuil d’intervention obligatoire à 0,6 mSv/an. Ce seuil est trop élevé et ne tient compte que de l’exposition externe. Pour autant, il existe. En conséquence c’est à cette valeur de 0,6 mSv qu’AREVA est tenue de comparer son résultat de 0,83 mSv (soit un dépassement de 38%), pas à la limite de dose de 1 mSv/an.
Mine de Pen Ar Ran
· Présentation du dossier (dernière mise à jour : 12/08/2014)
· Lettre de la CRIIRAD au Préfet de Loire-Atlantique (9 juillet 2014)
· Réponse du Préfet de Loire-Atlantique à la CRIIRAD (14 août 2014)
· Communiqué du Collectif Mines d'Uanium du 6 août 2014
· Recensement des stériles uranifères à Piriac : rapport AREVA (pdf de 6.95 Mo)
· Extrait du rapport AREVA relatif au camping du parc de Guibel (pdf de 3.49 Mo)
· Lettre de suite d'inspection de l'ASN à AREVA (25 juillet 2014)
· Analyse par la CRIIRAD de la lettre ASN (12 août 2014)
· Réponse de la CRIIRAD aux déclarations d'AREVA (13 août 2014)