Quand la surproduction de surfaces commerciales laisse planer l’ombre d’une bulle…
Dans une note parue en ce début du mois par l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme (IAU), intitulée ‘’Surproduction de surfaces commerciales, vers une bulle immobilière ?’’ montre une croissance paradoxale du parc de commerces laissant planer une bulle immobilière dans laquelle l’ensemble des acteurs est responsable.
La note démarre par le fait indéniable d’une mutation comportementale des modes de consommations. Celui des années 1960-1980 qualifié de consommation extensive dans lequel de grandes quantités de produits étaient vendues à des prix bas, celui des années 2000 mute vers une consommation de précision devant répondre au plus près à la demande de chaque individu, consommateur et citoyen. Les raisons de cette mutation sont multiples. Comme l’évoque la note un faisceau de causes explique cette évolution, parmi lesquelles la stagnation de la consommation des ménages, les modifications dans les manières de consommer et la dématérialisation croissante des achats de produits et de services occupent une place majeure.
En effet, la baisse du pouvoir d’achat et un ralentissement démographique ont entrainé un changement de comportement de nos modes de consommation. Des consommateurs beaucoup plus précis qui définissent leurs façon de consommer par une réflexion intelligente, éthique et solidaire.
Outre cette nouvelle manière de consommer, la note évoque aussi la progression constante de l’e-commerce.
Avec 45 milliards d’euros de chiffre d’affaires (CA) en 2012, l’e-commerce a encore enregistré un taux de croissance à deux chiffres, alors même que les autres secteurs du commerce de détail stagnaient ou régressaient. Limité dans un premier temps à des produits ou services aisément dématérialisables, le taux de pénétration de l’e-commerce a tendance à augmenter sur une gamme de plus en plus variée de produits.
Aujourd’hui, l’e-commerce ne représente qu’entre 3,5 et 5 % du chiffre d’affaires du commerce de détail, mais son poids devrait atteindre 20 à 25 % d’ici 2030.
Toutefois, la note précise que ce contexte de stagnation de la demande et de développement de l’e-commerce, paradoxalement, le parc de commerces continue de croître à un rythme très soutenu. En France, 40,2 millions de m2 ont été autorisés en CDAC depuis 2000 et l’adoption de la LME (loi de modernisation de l’économie) en 2009, qui a augmenté le seuil d’autorisation de 300 à 1 000 m2 de surface de vente, n’a pas infléchi cette dynamique. En Île-de-France, presque 5 millions de m2 ont été autorisés sur la période 2000-2012, soit chaque année l’équivalent de trois fois un centre commercial régional comme les Quatre Temps à la Défense.
La note rajoute que dans ce contexte de concurrence accrue, les points de vente évoluent, les concepts se renouvellent, de nouvelles enseignes émergent et de nouveaux lieux d’implantation apparaissent ou se confirment. Ces changements, qui impactent l’organisation commerciale francilienne, se traduisent aussi bien dans les ouvertures récentes que dans les projets. Plusieurs tendances sont à l’œuvre. La note montre que les espaces émetteurs de flux importants deviennent des lieux de plus en plus attractifs pour le commerce. C’est le développement du commerce d’itinéraires dans les gares ou les aéroports (galerie marchande de Saint-Lazare (10 000 m2), Cœur d’Orly (22 700 m2), les lieux touristiques ou culturels (projet de centre commercial Vill’Up (11 300 m2) à la Cité des sciences et de l’industrie). Dans les équipements sportifs, par exemple les stades (10 000 m2 autour du stade de rugby Arena à Nanterre), la programmation de commerces et de restaurants est de plus en plus sollicitée pour équilibrer financièrement les opérations.
Dans un espace de plus en plus concurrentiel, les nouveaux centres commerciaux cherchent à se différencier les uns des autres. Plusieurs voies sont explorées. Les concepts de retailtainment, contraction de retail (commerce) et d’entertainment (divertissement), fleurissent. Dans ces espaces, les programmations allient commerce et loisirs en développant le plus souvent une offre de restauration et de cinéma(10), mais aussi des activités plus spécifiques comme des salles de concert et de spectacles, des espaces récréatifs et d’exposition. Le centre commercial Europa city (225 000 m2) envisagé dans le triangle de Gonesse est le projet le plus représentatif. Ensuite, l’offre de services est particulièrement étudiée. Tout est fait pour améliorer le confort d’achat du consommateur : voiturier, « scooturier », conciergerie, personnal shopper, garderie d’enfants, espace internet, etc.
Les centres commerciaux So Ouest à Levallois (37 000 m2), Aéroville à Tremblay en France (50 000 m2) et Beaugrenelle à Paris XVe (31 000 m2), ouverts récemment, ont joué cette carte.
Enfin, une des évolutions récentes majeures est le développement des drive qui dope les achats alimentaires sur internet. Cette nouvelle forme de distribution s’est développée à un rythme exponentiel depuis 2000. Étroitement lié à l’usage de la voiture dans les déplacements domicile-travail, ce type de magasin est moins présent en Île-de-France qu’en province.
Bref, cette régénérescence de concepts commerciaux entraine selon la note un risque de surproduction de surfaces de commerce. S’appuyant sur un article paru dans la revue Études foncières, la note évoque que l’ensemble des acteurs intervenant aux différentes étapes de production de l’immobilier commercial est engagé, pour des raisons diverses, dans une spirale de surproduction. Une des conséquences est que les prix, qu’il s’agisse des valeurs locatives, des valeurs d’actifs et des valeurs foncières, sont de plus en plus déconnectés de leur véritable valeur économique sur le marché. Pour les enseignes de la distribution, la multiplication des points de vente permet de gagner des parts de marché sur leurs concurrents et de réaliser des économies d’échelle propres à peser sur leur approvisionnement, à rationaliser la logistique et afficher une augmentation de leur chiffre d’affaires global.
La note rajoute que du côté des investisseurs, la logique est plus complexe. Les mutations du secteur immobilier les a conduits à passer d’une logique patrimoniale à une logique financière. L’abondance des capitaux à placer, les nouveaux modes de valorisation des actifs immobiliers et le recours plus fréquent à l’endettement se traduisent par un engouement pour l’immobilier commercial jugé moins risqué – mais jusqu’à quand ? – que d’autres catégories d’immobilier.
Enfin, la note mentionne que les collectivités locales, qui interviennent au niveau des CDAC pour délivrer les autorisations commerciales et pour mettre à disposition le foncier via les documents d’urbanisme et les opérations d’aménagement, participent à cette surproduction. Leurs décisions de faire du commerce sont de plus en plus déconnectées des besoins réels du bassin de chalandise et dépendent d’autres éléments comme la création d’emplois, l’augmentation des recettes fiscales, ou encore la concurrence territoriale par le renforcement de l’attractivité de leur territoire.
En conclusion, la note juge inquiétant le décrochage entre le contexte économique de crise et l’ampleur des perspectives de développement du parc commercial. Estimant que l’ensemble des indicateurs de performances de la distribution sont dans le rouge, même si certaines opérations enregistrent de bons résultats, avec un CA en baisse et une vacance en augmentation, quel que soit le type d’immobilier commercial. Ainsi la note de l’IAU explique qu’afin de limiter la consommation d’espaces naturels et agricoles, la densification et la requalification de l’existant doivent être privilégiées par rapport à des extensions nouvelles. Même si certaines réflexions sur de nouvelles orientations relatives au développement commercial vont dans le bon sens, l’IAU estime qu’il reste une étape à franchir. La délibération d’adoption du projet régional préconise de mettre en place une commission régionale d’aménagement commercial chargée de donner un avis sur les projets commerciaux d’intérêt régional et de confier aux Régions une compétence en matière de planification commerciale. Ces mesures seraient à même de mieux canaliser cette course en avant.
Évolutions législatives attendues : Le projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) comporte des dispositions visant à soumettre les drive à autorisation des commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC). Cette nouvelle réglementation est contestée par les acteurs de la distribution qui mettent en avant les créations d’emplois générés par cette nouvelle forme de commerce. Pour freiner la consommation foncière, le projet de loi prévoit par ailleurs de limiter les surfaces dédiées aux parcs de stationnement. Des discussions sont en cours sur les conditions de mise en œuvre de ce dispositif. Par ailleurs, un projet de loi portant sur l’encadrement des loyers, la composition des CDAC et une réforme du Fisac (fonds de sauvegarde pour l’artisanat et le commerce) devrait être présenté au premier semestre 2014.