Sur les pas de Louis Barthas 1914 -1918 jusqu’au 24 août 2014 à la BNF
Photographies de Jean-Pierre Bonfort
En février1919, le caporal Louis Barthas est démobilisé après avoir passé quatre années sur le front. Ayant pris des notes au fil des jours, il rédige à son retour 19 cahiers, découverts et publiés en 1978 par Rémy Cazals. Les Carnets de guerre de Louis Barthas, tonnelier, 1914-1918 livrent un récit poignant et réaliste sur le quotidien des soldats pendant la Grande Guerre. Quelles traces peuvent encore demeurer sur les lieux où Louis Barthas et ses compagnons connurent les souffrances qu’il relate ? Pour tenter de les retrouver, le photographe Jean-Pierre Bonfort a suivi Barthas pas à pas et sillonné les mêmes chemins que lui. Les 184 photographies présentées montrent des paysages où les stigmates des combats sont encore visibles, d’autres sont devenus des cimetières ou des lieux de mémoire, d’autres enfin ne révèlent plus rien des événements terribles qui s’y sont déroulés. Les Carnets de Louis Barthas sont un témoignage de premier ordre que vient interroger le médium photographique. La photographie peut-elle témoigner a posteriori de ce qu’atteste l’écrit ?
Le guide, Louis Barthas, un homme pris dans la tourmente
Artois, Flandres, Champagne, Argonne... Louis Barthas a connu pendant 4 ans les secteurs les plus dangereux, participant aussi bien à l’offensive de la Somme qu’aux batailles de Notre-Dame-de- Lorette et de Verdun. Bien qu’il appartint aux troupes de poursuite et non d’assaut, il a supporté toutes les vicissitudes, la misère, la peur, la fatigue, les maladies, les chagrins, les deuils qui consti- tuaient le quotidien des soldats. Dans le récit qu’il fait de ses années de guerre, véritable mémorial de ses camarades morts au combat, il indique avec précision lieux et dates, restitue de manière réaliste, dans un style simple et vivant, la vie dans les tranchées et la perception qu’ont de la guerre ces hommes qui ne sont pas des soldats de métier.
Au cœur d’un paysage largement transformé au fil du XXème siècle, Jean-Pierre Bonfort a tenté de retrouver la réalité des descriptions de Barthas. Entre 2012 et 2013, le photographe a accompli sept voyages afin de tenir compte autant que possible des saisons qui jouent un rôle capital dans le récit. Il a parcouru les étapes mêmes des interminables marches et contre marches imposées au caporal Barthas et à son régiment.
Les choix photographiques
Offrir une vision actuelle des traces du conflit encore décelables sur le front français imposait l’établissement d’une méthode et d’un protocole. Il est largement attesté par les témoignages récents sur les guerres contemporaines qu’au lieu d’écrire des lettres aux siens, comme le firent bien des combattants de1914, un soldat utiliserait aujourd’hui autant que possible son téléphone mobile et enverrait des images et de courtes séquences vidéos. De surcroît, Jean-Pierre Bonfort devait se trouver dans la situation de Barthas : découvrir le terrain, entre autres ses particularités géologiques et son climat, sans connaissance préalable et sans avoir réalisé de reportages ou de travaux artistiques sur ces sites.
Bonfort s’est toujours attaché aux pratiques minimales, il a donc utilisé tant un téléphone mobile qu’un papier banal. La fragilité de la vision, la vibration particulière à ce mode de prises de vues alliée à la modestie du support rendent particulièrement sensible l’écart qui se creuse entre le récit et l’image.
Paysages et traces : la question de l’écart
Les photographies prises à l’époque ne montrent que terrains bouleversés, cultures et végétation pulvérisées, villes et villages en ruines, grands arbres hachés, restes humains maintes fois déchique- tés par la mitraille... La vision d’apocalypse décrite par Barthas tout au long de son texte est saisie crûment par les images de ces années de guerre.
100 ans plus tard, que voit Jean-Pierre Bonfort sur cet itinéraire ? Sur les théâtres de combat de la Première Guerre mondiale, les cicatrices du terrain sont parfois très évidentes, comme à Lorette, à Douaumont, ou sur quelques hectares de la cote 304 et du Mort- Homme. Cependant, à quelques centaines de mètres, les bosquets ont reverdi, les animaux pâturent dans les prairies, les champs de blé ondulent au vent. Plus loin, villages et maisons ont été rebâtis, murs solides, tuiles rouges. Seuls quelques indices ténus donnent à penser que ce paysage n’est pas le fruit d’une lente évolution. Un événement terrible s’y est produit autrefois, mais le paysage n’est qu’un témoin muet. Ce qui demeure à jamais visible tient aux éprouvantes conditions atmosphériques évoquées au fil du récit : froid, neige, pluie, boue. À la configuration géologique aussi : on y voit les routes infinies où se déroulaient les incessantes marches nocturnes ou quelques vestiges d’architecture vernaculaire : granges, abris... Le photographe voit ce que n’a pas vu Barthas : les monuments, les mémoriaux, les immenses cimetières où sont ensevelis les soldats morts au combat et qui sont les signes - et non les traces - les plus évidents de l’ampleur du conflit. Il montre une forme de banalité, de platitude : ni pittoresque, ni tragique, encore moins d’exotisme. Il affronte une temporalité complexe : l’épaisseur d’un siècle. Seule la parole du témoin et son articulation avec l’image peuvent, en définitive, donner véritablement à comprendre la notion de trace. Ceci pose la question de la fragilité et de l’ambiguïté d’un témoignage a posteriori par la photographie, de la photographie comme retour sur le passé. Nous mesurons l’écart entre l’image et la parole, la valeur de vérité de l’une et de l’autre.
Le Parcours de l’exposition
L’exposition présente 184 photographies : un ensemble de 66 photographies (61 x 70 cm) consacrées aux lieux effectivement évoqués et traversés par Louis Barthas. Chacune des images comporte en pied de page un extrait du texte des Carnets qui se rapporte au lieu photographié ou à un événement s’y étant produit. Le parcours du « deuil et du chagrin », un ensemble de 55 photographies (20 x 20 cm), y fait écho et montre les petits monuments, les tombes isolées, les stèles... Trois grandes compositions de 21 paysages (61 x 45 cm) constituent le troisième corpus : ces paysages agencés en mosaïques symbolisent les trois grands thèmes courant dans le récit : la marche, la recherche d’un abri, la mort des compagnons.
12 vidéos sont accompagnées d’une lecture d’extraits des Carnets par le comédien André Marcon. L’exposition s’ouvre sur un texte de présentation signé de l’historien Nicolas Offenstadt.
Exposition
Sur les pas de Louis Barthas, 1914 -1918 Photographies de Jean-Pierre Bonfort
25 mars I 24 août 2014
BnF I François-Mitterrand
Allée Julien Cain, accès libre
Quai François-Mauriac, Paris XIIIe
Du mardi au samedi 9h > 19h
Dimanche 13h >19h, lundi 14h > 20h
Fermé jours fériés
Commissariat
Anne Biroleau, conservateur général au département des Estampes et de la photographie, BnF Jean-Pierre Bonfort, photographe