Des règles complexes, instables et insuffisantes mises en œuvre pour protéger la population face aux risques Amiante
Le 1er juillet dernier, la commission des affaires sociales du Sénat a remis un rapport d’information qui concerne un suivi amiante sur la mission commune d’information du Sénat dans laquelle était présentée en 2005 28 propositions pour mieux prendre en compte les risques amiantes.
Ce rapport a permis de dresser un bilan de la mise en œuvre des propositions formulées en 2005.
Il en ressort que parmi ces vingt-huit propositions présentées en 2005, dix-sept ont été mises en œuvre, sept concernant l’indemnisation des victimes et son financement sont restées lettre morte, une relative à la qualification des diagnostiqueurs doit encore connaître une véritable mise en œuvre et trois, portant sur la constitution de bases de données, sont encore en cours de réalisation neuf ans plus tard.
Même si le rapport considère que la réglementation actuelle est globalement satisfaisante, en particulier dans son volet protection des travailleurs qui a été considérablement renforcé par le décret du 4 mai 2012, toutefois, quatre faiblesses ont été identifiées auxquelles il convient de trouver des réponses très rapidement.
Tout d’abord, le rapport note que le pilotage des politiques publiques en matière d’amiante est défaillant alors que ce sujet transversal concerne quasiment tous les ministères. Les enjeux financiers du désamiantage sont mal connus faute d’une méthodologie commune et d’une impulsion politique majeure.
Ensuite, le rapport estime que le repérage de l’amiante constitue le maillon faible de la réglementation.
En effet, l’étude explique que critiquées par de nombreuses personnes auditionnées, la formation et la certification des diagnostiqueurs n’ont été modifiées qu’à la marge depuis 2006. Or un diagnostic amiante de qualité est la condition sine qua non d’une protection adéquate des travailleurs et de la population.
Par ailleurs, le rapport mentionne que la protection des travailleurs pâtit du faible nombre des interventions des corps de contrôle. L’inspection du travail, en première ligne sur ce sujet, se retrouve ainsi bien seule pour vérifier le respect par les employeurs de la réglementation.
Enfin, le comité de suivi pointe certaines insuffisances en matière de santé publique : par exemple, la réévaluation du seuil d’empoussièrement pour déclencher des travaux tarde à être menée à son terme, les déchetteries spécialisées pour recevoir de l’amiante sont trop peu nombreuses, tandis que le suivi-post-professionnel des personnes exposées n’est pas satisfaisant.
Ce comité de suivi a souhaité présenter des propositions à la fois ambitieuses et opérationnelles pour relever le pari du désamiantage dans les décennies à venir.
Une réglementation Amiante qui souffre principalement de quatre maux
a) Un manque de pilotage au niveau national
L’action du groupe de travail national amiante et fibres (GTNAF) constitue une réelle plus-value, en rassemblant toutes les directions centrales concernées par l’amiante, mais cette coordination entre services apparaît trop en retrait par rapport aux enjeux liés à l’amiante.
Les auditions ont montré que quasiment tous les ministères sont concernés, de près ou de loin, par les enjeux du désamiantage.
C’est pourquoi le premier axe des propositions de votre comité de suivi vise à faire de la prévention des risques liés à l’amiante une grande cause nationale, en instaurant un comité interministériel présidé par le Premier ministre, chargé d’élaborer et de mettre en œuvre une stratégie nationale de désamiantage.
b) Un diagnostic amiante souvent défaillant
Votre comité de suivi a constaté que la qualité du repérage et du diagnostic amiante était le talon d’Achille de la réglementation actuelle.
Insuffisamment formés et contrôlés, certifiés selon des normes peu exigeantes, les diagnostiqueurs fédèrent contre eux un grand nombre de critiques.
Il est vrai que la qualité d’un diagnostic amiante est la condition sine qua non pour protéger efficacement les travailleurs et la population des fibres d’amiante.
En outre, le diagnostic technique amiante (DTA), qui n’est pas obligatoire dans tous les immeubles bâtis, n’est pas toujours réalisé, actualisé et communiqué aux personnes qui le demandent.
C’est pourquoi votre comité de suivi a consacré le deuxième axe de ses propositions à l’amélioration du repérage et du diagnostic amiante et au renforcement des règles relatives au DTA.
c) Des règles complexes, instables et insuffisantes mises en œuvre pour protéger la population
Votre comité de suivi a identifié quelques faiblesses dans la réglementation, comme le fort retard dans la réévaluation du seuil d’empoussièrement pour protéger la population.
Il apparaît également essentiel d’améliorer l’information des particuliers, les études épidémiologiques et le suivi post-professionnel. Dans chaque cas, si des mesures existent, celles-ci s’avèrent insuffisantes.
D’où les propositions de votre comité de suivi qui seront présentées dans la troisième partie de ce rapport.
d) Un manque de contrôle de la part des services de l’Etat
Le décret précité du 4 mai 2012 relatif aux risques d’exposition à l’amiante, et les nombreux arrêtés pris pour son application, ont modifié en profondeur la gestion du risque amiante. Certaines entreprises de désamiantage ou de couverture indiquent avoir beaucoup de difficultés à respecter ces nouvelles normes, même celles dont l’entrée en vigueur a été différée.
Les corps de contrôle de l’Etat et de prévention de la sécurité sociale sont notoirement en nombre insuffisants, et ils n’interviennent pas ensemble de façon suffisamment coordonnée.
D’où ce constat pessimiste de Syntec-Ingénierie, qui estime ne pas avoir constaté d’amélioration dans les pratiques de désamiantage depuis le décret du 4 mai 2012.
En outre, les organismes accrédités ne réalisent pas assez de contrôle des entreprises de désamiantage sur les chantiers en situation réelle.
C’est pourquoi le quatrième et dernier axe des propositions du comité de suivi tend notamment à renforcer l’activité des corps de contrôle en mettant l’accent sur leur coordination et la création de nouveaux pouvoirs pour l’inspection du travail.
LISTE DES PRINCIPALES PROPOSITIONS
Faire de la prévention des risques liés à l’amiante une grande cause nationale
Proposition n°1– Demander au Gouvernement de mettre en place une mission interministérielle temporaire pour :
- élaborer une méthodologie afin d’estimer le coût global du désamiantage par secteur (logements sociaux et privés, établissements publics, hôpitaux, armée...) ;
- identifier les faiblesses dans la réglementation relative à l’amiante ;
- évaluer l’organisation et l’implication des services administratifs.
Proposition n° 2 – Créer une structure de coordination interministérielle rattachée au Premier ministre, sur le modèle du Comité interministériel de la sécurité routière (CISR), qui traiterait de l’amiante mais aussi des autres produits cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR), et qui comporterait différents collèges regroupant notamment :
- les directions centrales sur le modèle du groupe de travail national « amiante et fibres » (GTNAF) ;
- les partenaires sociaux ;
- les experts médicaux ;
- les associations de défense des victimes de l’amiante et de prévention.
Proposition n° 3 – Mettre en place une stratégie nationale pluriannuelle de désamiantage dans les établissements publics, fondée sur des critères objectifs et transparents, actualisée et publique.
Proposition n°4 – Assortir cette stratégie nationale pluriannuelle de désamiantage de financements pérennes, d’un échéancier et d’un suivi régulier.
Proposition n° 5 – Créer une filière de désamiantage à l’échelle nationale, avec des acteurs de taille suffisante.
Proposition n° 6 – Instituer une mission d’appui pour les maîtres d’ouvrages publics confrontés au désamiantage, composée de personnes ayant acquis une expérience approfondie dans les chantiers de désamiantage et de représentants de France Domaine.
Proposition n° 7 – Flécher des crédits vers la recherche et le développement sur les sujets suivants :
- détection amiante ;
- techniques de désamiantage ;
- études spécialisées relatives à la mesure des fibres d’amiante pour certaines professions particulièrement exposées.
Proposition n° 8 – Créer une plate-forme internet unique sur le risque amiante, en déclinant les informations selon l’identité de l’utilisateur (particulier, parent d’élève, maître d’ouvrage public ou privé, donneur d’ordre, entreprise de désamiantage...). Régulièrement mise à jour, elle renverrait ensuite vers les sites appropriés existants.
Proposition n° 9 – Organiser des Assises nationales de l’amiante sous l’égide du Premier ministre avant 2016, année au cours de laquelle la lutte contre les risques liés à l’amiante devra être déclarée grande cause nationale.
Proposition n° 10 – Ne pas bouleverser la réglementation actuelle sur l’amiante dans les années qui viennent, sauf pour des motifs de simplification administrative, de santé publique ou de protection des travailleurs étayés par des études scientifiques indiscutables.
Améliorer le repérage de l’amiante, qui constitue le maillon faible dans les chantiers de désamiantage
Proposition n° 11 – Demander aux services de l’Etat compétents de contrôler la réalisation des dossiers techniques amiante (DTA) et sensibiliser les notaires pour obtenir des DTA actualisés.
Proposition n° 12 – Demander au Gouvernement que le repérage amiante obligatoire pour les locations, introduit par la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), vise les listes A et B.
Proposition n° 13 – Demander au Gouvernement d’édicter une circulaire pour rappeler aux préfets leurs prérogatives en matière de protection de la population contre le risque amiante.
Proposition n° 14 – Sensibiliser les entreprises, surtout artisanales, sur la nécessité de demander les DTA.
Proposition n° 15 – Créer une base de données internet, régulièrement mise à jour, avec tous les DTA des établissements publics de l’Etat et des collectivités territoriales.
Proposition n° 16 – Inciter la Direction générale de la santé (DGS) à mettre rapidement en place un système de recueil des rapports annuels d’activité des diagnostiqueurs amiante.
Proposition n° 17 – Inviter le Gouvernement à refondre totalement et en urgence l’arrêté « compétence amiante » des diagnostiqueurs du 21 novembre 2006, en prenant comme base de travail le projet d’arrêté modificatif d’octobre 2011, qui distingue deux niveaux de certification et impose la détention d’un diplôme BAC + 2 dans le domaine du bâtiment, une expérience de 5 ans et des stages de formation de 3 à 5 jours.
Proposition n° 18 – Compléter ce projet d’arrêté modificatif :
- en obligeant les organismes certificateurs à procéder à plusieurs contrôles inopinés sur place pendant la période de surveillance ;
- en instaurant des formations rigoureuses, qui exploiteraient notamment une base de données informatique, regroupant des retours d’expérience significatifs de diagnostiqueurs ;
- et en rendant obligatoire par voie réglementaire l’application de la norme rénovée NF X 46-020 pour tous les types de repérage.
Proposition n° 19 – Prévoir dans le code du travail une obligation générale de repérage et de diagnostic de l’amiante avant travaux pour tous les donneurs d’ordre et les propriétaires.
Assurer une meilleure protection des travailleurs
Proposition n°20 – Demander aux organisations professionnelles des métiers particulièrement exposés au risque amiante de mener un travail de sensibilisation auprès de leurs adhérents.
Proposition n° 21 – Demander aux partenaires sociaux, dans leur négociation en cours sur les institutions représentatives du personnel, de renforcer le rôle des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) dans la prévention du risque amiante.
Proposition n° 22 – Renforcer l’action de l’inspection du travail :
- en augmentant ses effectifs ;
- en créant une cellule nationale d’appui « amiante » à la Direction générale du travail (DGT) et des cellules régionales dans chaque Direction régionale des entreprise, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) ;
- en encourageant la coopération systématique avec les agents de prévention de la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam) ;
- en disposant d’un outil statistique fiable sur l’activité des inspecteurs du travail.
Proposition n° 23 – Elargir l’arrêt de chantier amiante à tous les secteurs d’activité et à tous les risques liés à l’amiante.
Proposition n° 24 – Clarifier la distinction entre les travaux relevant de la sous-section 3 (retrait d’amiante, encapsulage, et démolition) et ceux relevant de la sous-section 4 (opérations à caractère limité dans le temps et l’espace sur des matériaux, équipements, matériels et articles susceptibles de provoquer l’émission de fibres d’amiante).
Renforcer la protection de la population
Proposition n° 25 – Abaisser le seuil d’amiante dans l’air déclenchant des travaux de désamiantage à 0,47 fibre par litre.
Proposition n°26 – Mieux informer les particuliers sur la gestion des déchets susceptibles de contenir de l’amiante et réfléchir avec les collectivités locales aux moyens d’organiser la collecte et le stockage à des coûts abordables pour les particuliers.
Proposition n° 27 – Créer auprès du service des pensions de l’Etat une cellule pour aider les employeurs publics à contacter les agents susceptibles d’avoir été exposés à l’amiante.
Proposition n° 28 – Renforcer les effectifs de l’Institut national de veille sanitaire (InVS), et notamment de son département santé-travail.
RAPPORT D ́INFORMATION FAIT au nom de la commission des affaires sociales (1) sur le suivi de la mission d’information de 2005 sur l’amiante,